septembre 2006 (14)

samedi 30 septembre 2006

La quête

Une sorte de petite histoire contée...

J'avais commencé par le nord parce qu'il fallait bien commencer par quelque part et que cela me semblait le plus logique. J'avais rassemblé quelques provisions, du papier pour écrire mes rapports, des cartes et une boussole pour me diriger et puis j'étais parti, sac au dos, droit devant. J'ai marché des jours et des semaines et puis des mois entiers, dormant dans des granges, chez l'habitant ou bien à la belle étoile. J'ai mangé ce que j'ai pu, comme j'ai pu. J'ai dû voler, parfois, pour subsister. J'ai connu la faim, le froid, la peur, des moments de doute et de désespoir. J'ai marché longtemps jusqu'au moment où je suis arrivé au point le plus au nord que j'ai pu, jusqu'au bord de l'océan. Et il n'était pas là. Lorsque je le pouvais, j'écrivais mes rapports que je confiais à des personnes dans l'espoir qu'ils parviennent à destination.

La route du nord m'était bloquée. Je ne voulais pas redescendre vers le sud, je ne pouvais pas aller à l'ouest, je suis parti vers l'est. J'ai parcouru des terres désolées durant une éternité. J'ai marché des jours entiers avant de prendre un cap sud-est. Bien des fois, j'ai cru mes derniers jours arriver. J'ai rencontré des hommes et des femmes, des peuples amicaux et d'autres qui ne l'étaient pas. J'ai marché et puis je suis parvenu de nouveau à la mer. Je ne pouvais plus avancer et il n'était pas là non plus. Plusieurs années déjà avaient passé. J'avais eu à franchir des montagnes et des déserts et je sentais que mon corps s'était usé. Des rapports que je pouvais envoyer, je ne savais ce qu'il advenait, mais cela faisait partie de la mission que l'on m'avait confié. J'ai sorti la boussole et j'ai décidé de me diriger vers le sud ouest.

Les mois et les saisons passaient au rythme de mes pas. J'ai traversé des étendues arides et torrides et plusieurs fois j'ai failli mourir de soif. J'ai croisé la route d'animaux féroces, j'ai eu à expliquer le sens de ma quête à des hommes à la peau noire. J'ai marché longtemps, plus que jamais aucun autre homme n'a marché. J'ai marché jusqu'à ce que je sente la vieillesse m'envahir et mes forces décliner. J'étais alors devenu un vieillard. Et puis une autre mer encore a arrêté mes pas. Il n'était pas là. J'ai posé la boussole sur le sable et j'ai pris la direction du nord-ouest.

Parfois, je me suis demandé si je n'étais pas déjà mort. Un mort qui marcherait encore. J'étais alors le plus vieux des vieux. Appuyé sur un bâton de pèlerin, ne vivant plus tout à fait, je marchais. Plus rien ne me faisait souffrir. Ni la faim ni la soif ne semblaient avoir de prise sur mon corps las. Je n'y voyais plus assez depuis des années pour écrire quelque ligne de rapport. Je comptais sur la transmission orale et m'appliquais encore parfois à confier des rapports parlés à des humains croisés au hasard de ma route. Totalement aveugle, j'ai compris que j'étais arrivé à une nouvelle mer lorsque j'ai pris conscience que je marchais dans l'eau. Il n'était pas là mais je commençais à m'en douter.

J'ai demandé ma route pour revenir chez moi. Aujourd'hui, je ne peux pas vous dire combien de temps j'ai marché. Je ne sais plus rien des jours et des nuits. Il est possible que ne prenais plus même le temps de dormir, de manger ou de boire. Je ne sais plus rien de tout cela mais je sais qu'un jour, je suis arrivé chez moi. J'ai demandé à ce que l'on me conduise auprès de l'Empereur. Personne ne se souvenait plus de moi ou de ma mission et je crois que c'est mon grand âge qui m'a permis d'avoir un entretien privé avec le nouvel empereur, l'arrière petit fils de celui qui m'avait confié la mission. A l'empereur, j'ai raconté les années de marche. J'ai dit que la mission avait été un échec, que partout où j'étais passé, il n'était pas là et que, aujourd'hui, j'étais vieux et fatigué et que je demandais la grâce que l'on m'enlève le poids de cette mission afin que, à presque deux cents ans, on me laisse mourir en paix. L'Empereur m'a écouté durant plusieurs jours lui raconter tout cela et puis il m'a demandé quelle avait été la mission que son ancêtre m'avait confié.

"Maître, noble seigneur, de cette époque lointaine ma mémoire a presque tout perdu et je dois avouer que je ne me souviens pas de tout. Je suis devenu vieux, je suis faible et vous devrez m'excuser. De tout cela, je ne me souviens que de l'ordre qu'il m'a été donné. Je m'en souviens avec précision. Chaque mot est gravé. Je me souviens qu'au terme d'un entretien, mon maître l'Empereur m'a intimé l'ordre d'aller voir là-bas s'il y était..."

samedi 23 septembre 2006

C'est le pied...

...

pied

vendredi 22 septembre 2006

Rions un peu

Mais pas trop...

Est-ce du Djazzzzzz ?

Bon, ce qui est sûr, c'est que c'est allemand, que c'est pô très violent et que ça s'appelle....

Bohren & der Club of Gore

Le chaînon manquant entre

le be-bop et le free-jazz, serait-ce...

Mingus

mardi 19 septembre 2006

Tubby or not.....

C'est du jazz, c'est british, c'est.....

Hayes

C'est du ponk, c'est écossais, c'est

Barbed Wire

Juste un petit dessin

moto

A vos ordres mon.....

Lieutenant Caramel

De la vraie musique vraie danoise

Juanito

dimanche 17 septembre 2006

Zigomar

C'est il y a bien des années.En plein coeur de l'hiver, la mère de mon ancienne copine nous appelle et nous dit qu'elle a récupéré un petit chat, très beau. Nous venions de perdre Arabie, un beau petit chat noir. Nous devions monter sur Paris, nous avions décidé de le ramener...

Comment résister à un petit chat de quelques mois ? Surtout lorsqu'il est aussi beau ! Lorsque nous sommes arrivés à Bry-sur-Marne, nous l'avons vu. Il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour lui donner un nom. Il m'est venu comme ça, sans que j'aie beaucoup besoin de réfléchir. Zigomar !
Ce n'est qu'après lui avoir donné un nom que je me suis aperçu d'une chose bizarre. Le premier chat que j'ai adopté, lorsque je suis arrivé à Pazayac, je l'avais appelé Zapato. Carlos Maza, pianiste et compositeur d'origine chilienne vivant à Cuba venait de sortir un album, "Zapato Kiko".

Zapato Kiko



Le deuxième chat, c'est une copine de l'époque qui nous l'avait proposé. Zapato avait disparu sans laisser d'adresse et nous n'avions plus de chat. Nous l'avons adopté et nous l'avions appelé "Arabie". Pourquoi "Arabie" ? Aucune idée. Toujours est-il que ce petit chat a connu une triste vie et une triste fin. Au bout de quelques mois que nous l'avions, il a commencé à avoir des crises qui pourraient faire penser à de l'épilepsie. Nous l'avions amené chez un vétérinaire qui, dans un premier temps, avait pensé à un empoisonnement. Il l'avait gardé en observation et nous l'avait restitué, pensant que tout s'était arrangé. Mais quelques semaines plus tard, les crises avaient recommencé. Nous le ramenâmes, de nouvelles analyses avaient été faites et le vétérinaire avouait ne pas comprendre. Rien ne lui semblait anormal et il n'avait pas pu constater de crise. Nous reprîmes Arabie. Au bout de quelques semaines, les crises reviennent. Nous revenons chez le vétérinaire. Cette fois, le vétérinaire propose de le garder en observation plus longtemps. Un jour, il nous appelle pour nous dire que le chat était en pleine crise. Il nous avoue alors qu'il en était arrivé à douter de ce que nous lui avions raconté mais que là, il constatait par lui-même.
Le diagnostic du vétérinaire fut qu'il devait s'agir d'une compression du cerveau, compression due probablement à une tumeur. Il prescrivit quelques médicaments et nous rapatriâmes Arabie chez nous. A partir de ce moment, les crises semblèrent se faire de plus en plus violentes et de plus en plus rapprochées. Le vétérinaire nous proposa une euthanasie. Nous hésitâmes et acceptâmes après quelques jours, tristement.

Zapato, Arabie, Zigomar... Je venais de comprendre que le chat qui suivrait aurait un nom débutant par un "A"... Mais j'en suis à vous parler de Zigomar. Ainsi donc, l'autre soir, mon ancienne copine m'appelle pour me demander une nouvelle fois si je n'ai pas retrouvé ses négatifs. Je n'avais aucune envie de discuter avec elle mais je lui promettais plus ou moins de les chercher et de les lui faire parvenir. A la vérité, ses négatifs je les avais récemment retrouvés en rangeant le garage. En allant les chercher, tout à l'heure, je tombe sur des photos et je m'arrête un instant pour les regarder. C'est là que je tombe sur cette photo de Zigomar.

Zigomar



Que dire de ce chat ? De ceux qui sont passés chez moi, c'était sans aucun doute le plus beau. C'était aussi celui qui avait le plus mauvais caractère et qui était le plus chiant. Si je pouvais (dans certaines limites) lui faire n'importe quoi, il ne manquait jamais de se venger sur ma copine. Difficile comme il n'est pas permis, il refusait bien souvent de manger ce qu'il avait semble-t-il adoré lors du repas précédent. Véritable siamois de gouttière, on aurait dit qu'il avait conservé quelques gênes caractéristiques de cette "race".
Zigomar a disparu lui aussi. Nous avons soupçonné des chasseurs. Nous n'avons jamais bien su ce qu'il s'était passé. Nous avons eu d'autres chats encore. Et puis, ma copine est partie, moi j'ai déménagé, les deux chattes que j'avais n'ont pas voulu suivre, je n'ai plus de chat et je ne m'en porte pas plus mal. :)

samedi 16 septembre 2006

Il pleut

La pluie, je ne suis pas contre, mais il y a des limites. J'ai l'impression qu'il pleut depuis des jours et des jours et ça commence à bien faire, moi je dis.

pluie

samedi 9 septembre 2006

Vous reprendrez bien un peu de tripes ?

Puisque l'on a plébiscité le début de l'histoire, voici une suite encore toute fumante !

Le vacarme du véhicule de sécurité vint détendre l'atmosphère. On entendait les chenilles patauger dans la bouillie de vers de la rue. L'engin stoppa à la hauteur de l'établissement de Jules dans un cri plaintif. Le chuintement des valves à vapeur ralentit jusqu'à ne plus devenir qu'un murmure gargouillant rappelant la respiration glaireuse d'un cancéreux trachéotomisé. Trois miliciens armés et casqués sortirent du véhicule accompagnés d'un chien jaune muselé. Après avoir remis de l'ordre dans sa chevelure grasse et odorante du bout de ses doigts crasseux, Brigitte entreprit de relever sa jupe et se coucha sur le dos et sur une table, écartant déjà les jambes, préférant prévenir le désir de l'un ou l'autre des membres des forces vives de la nation. Il valait mieux être gentil et serviable avec les militaires et les miliciens. Et surtout, elle savait ce qu'il en coûtait de refuser ou de sembler ne pas accepter avec assez de célérité.

La clochette fit ce que l'on attendait qu'elle fît et les miliciens entrèrent. "Nous vaincrons", lancèrent-ils, de joyeuse humeur. "Parce que nous sommes les meilleurs", répondirent en coeur les personnes présentes. Sauf Brigitte qui pensait à autre chose et l'étranger qui était étranger. Tandis que le plus jeune des miliciens se dirigeait déjà vers les jambes écartées de Brigitte, Raymond, le plus gradé des trois fit signe à Robert, le troisième des trois, de poser le panier qu'il portait et qui semblait tant intéresser les crapauds qu'il fallait jouer de la crosse de fusil pour les dissuader de trop approcher. Ça faisait des sortes de "chiork" suivis de jets purulents à chaque fois que l'on en écrasait un. L'odeur fétide agaçait les autres crapauds qui protestaient vivement en gonflant leur gorge à la manière d'un goitre savoyard. "Tiens Jules, on est passé par l'usine, on t'a ramené de la tripe", annonça Raymond. Richard avait fini de s'agiter entre les cuisses de Brigitte et s'avança au comptoir en reboutonnant son pantalon bleu lavande qui était plutôt orange, au fond. Quoi qu'au fond, il était plutôt encore d'une autre couleur, pour dire la vérité crue.

- Je vous sers quoi ? Interrogea Jules tout en remisant le panier hors de portée des mouches, sous un torchon.
- Je prendrais bien un vert, dit Richard.
- Tiens oui, moi aussi, dit Robert.
- Ben trois alors, finit Raymond.
- Il est pas bien frais, aujourd'hui, s'excusa Jules.
- Vous buvez quoi, vous, là ? demanda Raymond en se tournant vers Victor.
- Une morlave de son pays, répondit-il. C'est correct. Sans plus.
- Et vous ? s'adressa Raymond à l'étranger.
- Un grand-chaud mais je ne vous le conseille pas. Chez nous, on ne le fait pas ainsi et c'est meilleur.
- Dites, la morlave, c'est pas trop autorisé, tout de même, plaisantèrent Richard et Robert.

Jules esquissa un sourire crispé et jeta un regard lourd de reproche à Victor. Pour faire diversion, Grégoire demanda à Brigitte s'il restait de la soupe de tripes. Elle n'attendait que ça pour se relever. Elle défroissa sa jupe d'un revers de main et se saisit de la cuvette tendue pour aller la remplir en cuisine.

- Allez, donne-nous trois morlaves, Jules. On blague !
- N'empêche que c'est pas très autorisé ton trafic, là... ne put s'empêcher de dire Richard.
- Laisse tomber, c'est un gars bien, Jules, marmonna Robert.

Jules remplit trois verres de morlave de son pays en ménageant juste assez de place pour les glaçons. Il servit les boissons qui moussaient légèrement en laissant échapper de ravissantes petites fumerolles rigolotes.

- Dis-moi Jules... T'aurais pas vu Raoul, ces temps-ci ? Questionna Raymond sans lever les yeux de son verre.
- ...
- Non ? Tu l'as pas vu ?
- Si, si... C'est que vous le cherchez ?
- Comme ça, oui. Des questions à lui poser. Rien de grave. Si tu le vois, tu lui dis de passer nous voir ?
- Oui, oui... Bien sûr, oui.
- Bien Jules. Très bien.

Dehors, des tirs d'armes automatiques indiquaient que la liste des morts de la journée s'allongeait encore. Des fois, Jules se demandait comment ils en trouvaient encore à tuer, les miliciens. Depuis le temps, l'espèce aurait dû être exterminée. Il n'osait pas trop se poser des questions et encore moins en poser aux autres. Surtout aux miliciens.

Brigitte revint avec une cuvette fumante. Jules lui fit signe de se charger du panier de tripes qui commençaient à l'incommoder un peu. Il s'y était fait lui aussi, à la tripe. Il fallait bien, on ne trouvait plus que ça. Il y en a même qui en étaient devenus fous, comme Grégoire qui passait une bonne partie à en manger tandis que l'autre était occuper à l'évacuer par les voies naturelles. Toutes les voies naturelles. Il chiait de la tripe, il pissait de la tripe, il vomissait de la tripe, il suait de la tripe...

Reposant son verre et laissant échapper un rot sonore, Robert se pencha vers Raymond pour lui parler à l'oreille. Raymond se tourna vers l'étranger.

- Vous êtes pas d'ici vous ?
- Non.
- Vous êtes d'où ?
- De par là-bas...
- Vous avez des papiers sur vous ?
- Oui. Répondit l'étranger en sortant de sous sa chemise une pochette de cuir de belle qualité. Il l'ouvrit et en extirpa un document long comme ça qu'il tendit à Raymond.

Raymond n'avait pas ses lunettes. Il tendit le papier à Robert qui, n'osant avouer qu'il ne savait pas lire, le tendit à son tour à Richard. Richard déplia la feuille avec un certain respect, la retourna pour la mettre à l'endroit et, en bougeant les lèvres au rythme des syllabes qu'il reconnaissait tenta de donner un sens aux symboles soumis à son intelligence un peu lente. Il s'y reprit à plusieurs fois avant de se décider à verdir puis à dégueuler sur les guêtres de Robert qui le prit d'autant plus mal qu'elles étaient presque propres.

- L'ins... L'inspection des services ! Bredouilla Richard.

Raymond verdit à son tour. Robert, encore bouleversé par ses guêtres ne changea pas d'attitude. Celui qui le prit le plus mal fut encore Jules qui s'effondra derrière son comptoir. Crise cardiaque carabinée. Les crapauds se jetèrent sur lui.

(à suivre ?)

vendredi 8 septembre 2006

Mais... Mais ! C'est dégueulasse !

Il est encore temps de faire marche arrière, de quitter votre navigateur... Vous n'êtes pas obligés de lire ce qui suit.

"Saloperie de bonne femme !"... Raoul venait de pénétrer en marchant sur les mains dans la salle de l'arroseur de glotte. La clochette aigre tintât une seconde fois lorsque la porte se referma. "Saloperie de bonne femme !", jura-t-il encore en se dressant sur ses pattes de derrière dans un mouvement malhabile et, à n'en point douter au vu de la grimace, assez douloureux. Raoul posa les mains sur les hanches et fit quelques manières d'assouplissement. "Saloperie de bonne femme !" marmonna-t-il avant de s'avancer, d'un pas mal assuré, vers le comptoir derrière lequel officiait Jules et auquel étaient agrippés Grégoire et Victor.

"Tu bois quelque chose ?", demanda Jules en levant la tête de la cuvette de plastique rouge de laquelle une peu ragoûtante boue ocre se répandait jusque sur le carrelage mauve de la salle. Raoul escalada l'échelle conduisant aux toilettes et s'assit en bonne place. Il se passa les mains sous le mince filet d'eau dispensé par un robinet à valve et s'essuya au lambeaux de papiers peint affectés à cet usage. D'ici, il pouvait observer les vers grouillants pas centaines de milliers par-delà la ruelle. "Un vert", répondit Raoul en se massant les côtes encore endolories. "Tu devrais pas, Raoul... L'est pas bien frais, aujourd'hui, le vert... Tu préfères pas une morlave avec des glaçons ? J'en ai reçu de mon pays et Victor m'a dit que c'était tout à fait honorable pour une boisson de métèque". "Va pour ta morlave mais sans glace", répondit Raoul, l'oeil absent et les mâchoires serrées.

Dans la pièce attenante, on entendait les vagissements éthérés de Brigitte, la tripatouilleuse de tripes. Elle préparait le repas, comme tous les sales jours de l'année. Aujourd'hui, c'était un sale jour. L'annonceur de nouvelles l'avait dit au poste. "Aujourd'hui, sale jour, couvrez-vous". Les bons jours, c'était la Sainte Vierge, la femme de Raoul, qui cuisinait. Ce n'était pas souvent. "Saloperie de bonne femme !", pensa Raoul.

Dehors, la pluie nauséeuse continuait à tomber en laissant sur le sol une gelée pâteuse. Les rares personnes qui avaient osé se risquer dehors avançaient avec précaution en évitant les mains agrippeuses des clochards infirmes. La clochette tintât de nouveau. Tous les visages se tournèrent vers le nouvel arrivé. C'était un parfait inconnu. Cela arrivait parfois. On eût parlé que l'on se serait tu. On ne parlait pas à ce moment. Alors, on se contenta de regarder. L'homme se dirigea vers le comptoir en esquissant quelques pas de danses cocasses dans le but visible d'éviter les crapauds cracheurs. Il se plaça, contre toutes les règles de bienséance, pile entre Grégoire et Victor. Sans même se donner la peine de regarder la forme boueuse qui se tenait de l'autre côté du comptoir, l'homme commanda un grand-chaud sans mousse. Jules se tourna alors vers le percolateur, en chassa les mouches et actionna les molettes crantées en tentant d'éviter le jet de vapeur. Il attrapa une tasse à grand-chaud et la plaça sur le support de la machine. Il appuya sur le bouton rouge, s'écarta pour replonger la tête dans sa bassine rouge et compta mentalement jusqu'à dix. Dans un glou-glou pathétique ponctué de quelques crachotements, la tasse se remplit. Jules leva la tête dégoulinante de boue et servit le grand-chaud avec des pincettes. "Ça fait huit...". "Je n'ai qu'un billet de douze". Jules se redressa, se racla le fond de la gorge dans un bruit désagréable, aspira le contenu de ses fosses nasales au passage, régurgita le tout dans sa cavité buccale, malaxa tout cela de quelques coups de langues experts et cracha le jus dans la tasse. "Le compte est bon", dit-il en empochant le billet. L'homme but une lampée et grimaça. On ne préparait pas le grand-chaud de cette manière chez lui. Il porta son attention vers le poste à transistors qui gargouillait la quotidienne litanie des morts de la journée. Signe que nous étions entre 19 et 22 heures.

"Faut que je rentre, brailla Raoul, la Sainte Vierge va encore m'engueuler, sinon". Il descendit les premiers échelons, rata les suivants et se retrouva bien vite couverts de morceaux de crapauds. "Merde ! Tu fais chier avec tes bestioles, Jules !", tonna Raoul en se décollant de la masse visqueuse et pestilentielle. Il finit par réussir à se redresser, aidé par Grégoire qui le hissait et par Victor qui tenait à bonne distance les crapauds vengeurs. Raoul jeta deux pièces de trois sur le comptoir et ouvrit la porte. Il pleuvait toujours. Il posa ses mains au sol, guettant du coin de l'œil les crapauds, lança les jambes en l'air, chercha l'équilibre et sortit en lâchant un "saloperie de bonne femme".

"Pourquoi qu'il marche sur les mains, vot' copain ?" s'étonna l'étranger au grand-chaud. "Une longue histoire", répondit Grégoire, levant les lèvres de sa soupe de tripes. "Raoul, il marche sur les mains depuis la maladie de sa femme... Il a fait la promesse que si elle s'en sortait, il n'arpenterait plus les rues que de cette façon... Elle s'en est sortit, la garce", expliqua Victor. "Il y a bien de la vermine", conclut l'étranger tout en terminant son grand-chaud. Il était vraiment infect. Pas comme chez lui. Il le dit à Jules.

Jules ne le prit pas vraiment mal. Il cligna juste de l'oeil droit à trois reprises précipitées. Signe qu'il était un peu énervé. Ce n'était généralement pas bon signe. Ou alors, le plus souvent, c'était signe qu'il ne remettrait pas sa tournée. Brigitte pénétra dans la salle en courant, poursuivit par une horde de rats. Jules n'attendait que ça. Il saisit son fusil et tira deux coups de feu en direction des rongeurs. Les crapauds avaient vu venir le coup et s'étaient rangés contre les bancs. Ils bondirent dans la masse de rats morts et mangèrent assez salement. Brigitte appuya une main contre le mur et reprit son souffle. C'est qu'elle n'était plus toute jeune !

- Quelqu'un voudra manger ? demanda-t-elle.
- Ouais ! Répondit Grégoire, brandissant déjà sa cuvette de plastique.
- Vous avez quoi au menu ? questionna l'étranger.
- Comme tous les jours, de la soupe de tripes, vous croyez quoi ? Vous venez d'où pour poser des questions pareilles ? s'étrangla Brigitte.
- De par là-bas. Je suis parti l'autre jour et je suis arrivé aujourd'hui. Elle est comment, votre soupe de tripes ? Vous mettez de l'ail ?
- On en a pas, de l'ail. On met autre chose à la place.
- J'ai qu'un billet de douze...
- Je vous en donnerai pour dix, pas plus. C'est à prendre ou à laisser.
- Je prends.

Brigitte repartit dans sa cuisine, chanta un air à la mode à toute voix pour que l'on n'entende pas les cris des tripes et revint couverte de sang, une bassine bien garnie entre les mains. Elle la posa avec une certaine délicatesse sur les genoux de l'étranger qui, ne se méfiant pas assez du fumet, faillit vomir. Il avait faim, il plongea la tête dans les tripes. Pendant ce temps là, Victor, tout heureux de ce que les crapauds avaient fort à faire, baissa son pantalon et, de la pointe de son canif, au prix de contorsions inimaginables, entreprit de crever l'énorme bubon rougeaud qu'il avait à la fesse droite. Il grimaça de douleur lorsqu'il pressa l'abcès entre le pouce et l'index afin d'en faire gicler le pus. Un jet parfaitement dégueulasse explosa et se précipita directement dans la cuvette de l'étranger qui, pour le coup, vomit pour de bon. Victor s'excusa bien un peu mais l'étranger ne l'entendit pas de cette oreille. Il voulait que l'on lui rembourse son plat et que l'on lui en amène un autre. Jules refusa au motif que, avec ou sans pus dedans, la soupe de tripes restait une soupe de tripes et qu'il y avait bien des malheureux sur terre qui seraient heureux d'avoir ça plutôt que rien.

(à suivre ?)

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