Sur un air connu de Michel, fils de Jacques

En débutant la lecture de "Travail soigné" de Pierre Lemaitre, la question est arrivée. Mais où diable avais-je bien pu déjà rencontrer ce commandant Verhœven ? Une sensation vraiment troublante qui ne me quittera pas après avoir refermé ce roman.

Serge Gainsbourg prétendait que la chanson est un art mineur. Oui, comme la peinture, la musique, la sculpture, l'architecture, le théâtre, le cinéma, la littérature, le dessin, la gravure et j'en oublie. Oui. Tout cela est mineur. L'art majeur, le seul, le vrai, c'est le mime.
Cette réflexion est venue en lisant "Travail soigné" de Pierre Lemaitre dont j'ai dévoré son récent "Au revoir là-haut". Je me suis dit que ce roman pourrait faire l'objet d'un scenario de film. Et puis, je me suis dit que je n'avais pas besoin d'un film pour vivre ce roman prenant. Un thriller comme on en lit rarement. Bien sûr, un bon réalisateur qui s'attacherait à ce roman en sortirait sans doute un équivalent du "Silence des agneaux" ou de quelque chose du genre et ce serait sans doute un bon film de genre. Mais voilà, à la lecture de ce thriller, je me dis qu'il n'y a pas besoin d'images qui bougent et de détonations tonitruantes d'armes à feu ou de personnages de chair et d'os et de musique d'ambiance pour être à fond dans l'histoire. Je suis allongé sur mon lit, les yeux à quelques centimètres de la page, et je suis ailleurs, transporté dans le roman, en immersion plus certaine que toutes les technologies pourraient tenter d'apporter, 3D incluse.
Et alors, je relève le nez et je poursuis ma réflexion. Je me dis alors que si le cinéma n'est pas nécessaire, peut-être le roman gagnerait à conter ? Et je me dis que le conte est l'art ultime, celui qui permet de faire passer des émotions avec le minimum de moyens. L'art du conte est très ancien. Possible qu'il existe depuis que la parole est apparue. Ça doit faire un bail. De purement utilitaire, la parole a dû rapidement devenir un instrument pratique pour raconter des histoires imaginaires. L'invention de la parole, du vocabulaire, a certainement été très pratique pour nommer des objets, des lieux, des animaux, des personnes, des plantes ou des entités mystérieuses. "Au début était le verbe...". Sans la parole, il me semble presque certain qu'il n'y aurait jamais eu de religion avec des histoires improbables et des croyances incroyables. La parole a donné le conte. Le conte a donné l'histoire qui a donné le roman. Quoi que là, il aura tout de même fallu attendre l'invention de l'écriture et ça a dû être une autre paire de manches.
Mais avant la parole, on ne racontait donc pas d'histoire ? Je me suis posé la question et j'ai compris que je faisais fausse route. Bien sûr que si que l'on racontait des histoires ! Et pour ce faire, on n'avait guère qu'une arme : le mime. Le mime est donc plus ancien, plus authentique, que la parole. C'est le langage du corps. Un langage plus ou moins universel qui nous permet encore aujourd'hui de comprendre les attitudes animales. Et donc, je le dis, l'art majeur est le mime.

Travail soigné - Pierre Lemaitre
Mais quel rapport avec le roman de Pierre Lemaitre que je vous conseille de découvrir si ce n'est déjà fait ? Aucun. Véritablement aucun rapport. D'ailleurs, ça n'a même pas le moindre rapport avec le sujet dont je souhaitais vous entretenir aujourd'hui qui est le roman de Pierre Lemaitre, roman que j'ai beaucoup aimé et qui me pousse à découvrir les autres de la même série, celle des aventures du commandant Camille Verhœven.
Le commandant Camille Verhœven exerce dans la police criminelle. Il a pour particularité d'être petit. Vraiment petit. Il mesure, c'est précisé, un mètre et quarante-cinq centimètres. C'est peu. Pour autant, mais on peut s'en douter, il s'agit d'un grand enquêteur, très intelligent. Il est marié à une femme que l'on peut penser jolie. Elle attend un enfant et le roman s'ouvre un peu là-dessus mais pas tout à fait non plus puisque, en fait, ça s'ouvre sur l'interrogatoire d'une fille puis sur la découverte d'un double meurtre particulièrement horrible et sanglant. Mais peu importe.
Donc, le commandant Verhœven (que l'on aurait appelé inspecteur en d'autres temps) est appelé sur une scène de crime. Ce n'est pas beau à voir. Du beau travail de malade. On ne met pas bien longtemps à découvrir de troublants indices et le commandant Verhœven, l'esprit vif, ne tarde pas non plus à faire le lien avec un roman de Bret Easton Ellis. De même, un peu plus tard, il fera le lien entre un autre meurtre plus ancien et non élucidé et un roman de James Ellroy, "le dalhia noir". Plus loin encore, d'autres crimes et d'autres romans seront mis en relation.
Mais au-delà de l'histoire, de l'intrigue, du suspense, il y a la construction du roman et la manière qu'à l'auteur de vous mener par le bout du nez là où il veut comme il le souhaite. C'est assez magistral. Il y a des moments où l'on ne sait plus où l'on est dans le roman ou dans le roman dans le roman. C'est assez jouissif.
Pierre Lemaitre s'amuse. Il s'amuse déjà à écrire pour des lecteurs qu'il espère intelligents. C'est comme s'il se tenait la réflexion suivante : les lecteurs de romans policiers aiment lire des romans policiers. Je vais donc faire un roman policier qui parle de roman policier. Un délice d'intelligence et de connivence avec le lecteur qui peut jouer à dénouer l'intrigue.

En refermant ce livre, il existe toujours cette question qui me tarabuste bien un peu. Où ai-je bien pu rencontrer ce Camille Verhœven ? Je suis quasiment certain de ne pas avoir lu les autres livres de la série et je ne pense pas que l'un d'eux ait été porté à l'écran. Alors quoi ? Je n'en sais fichtrement rien et ça m'agace un tantinet. Comment peut-il se faire que j'ai le sentiment de connaître ce personnage sans avoir rien lu auparavant qui le mette en scène ? C'est un mystère qui, je le crains, restera entier.
Quoi qu'il en soit, je vous conseille la lecture de ce roman si vous êtes amateur du genre et je m'en vais me mettre sur la piste des autres livres de la série.

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