Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (42)

Je prends la suite du feuilleton tout en me disant que je ne comprends plus grand chose à l'histoire et en me demandant si histoire il y a, finalement. Peu importe, je me lance. J'attrape quelques bouts de l'épisode précédent et je me jette à l'eau. Toujours le Nautilus et une faille spatio-temporelle qui semble voir le jour. On va bien voir.

Ce que vient d'annoncer Alice paralyse une partie de l'équipage. La partie à même de comprendre les conséquences possibles de ce qu'il vient de se passer. Chapraud et Chapraut, eux, on s'y attendait, semblent plus préoccupés par la pénurie de calvados qui les rend un peu nerveux. Si Gaëlle semble, elle aussi, légèrement indifférente à tout cela, c'est juste parce qu'elle navigue déjà aux côtés de son Yannick, vers 1978. Elle est en train de virer brindezingue, la mère Gaëlle. Trop d'émotions, trop d'aventures, trop de rebondissements inattendus et incroyables. Elle a préféré se mettre aux abonnés absents. Elle s'est déconnecté de la réalité pour laisser son esprit vagabonder au royaume des souvenirs. Du coup, elle affiche un grand sourire et elle chante pour elle, à petite voix, en marmonnant. Ne pouvant s'échapper totalement de son rôle d'infirmière, Alice s'est assise à côté de Gaëlle et lui tapote la main pour la calmer.

Östäl et le docteur Gemenle sont en opposition frontale sur la marche à tenir face à cet événement imprévu. Si l'un est partisan de s'arracher de cette époque dare-dare sans plus s'occuper de l'avenir, l'autre est plus circonspect et argue de ce que l'avenir connu risque de ne rien à voir avec l'avenir réel que l'on trouvera. Technicien avant tout, Östäl compulse le volumineux manuel d'utilisateur du Nautilus lequel tient en quatre volumes reliés pleine peau et imprimé sur un velin de belle qualité. Il cherche dans les pages et entre les lignes la solution à leur problème. En bon scientifique, Gemenle explique que l'époque moderne d'où tous viennent est dépendante pour une bonne part de la disparition des animaux qui continuent à s'égayer en dehors du sous-marin. Qu'en sera-t-il des millénaires à venir si ces dinosaures ne disparaissent pas ? L'homme apparaîtra-t-il ? Toute la question est là. Revenir au 21e siècle n'est pas, n'est plus, la garantie d'un retour à la normale. Qui sait, d'ailleurs, si ce que nous appelons le 21e siècle existera dans le futur ? Pendant que Gemenle laisse libre cours à la métaphysique, Östäl se perd dans les abaques, reportent des données sur le tableau de bord, peaufine ses réglages, affine les curseurs avec méthode.

Pour faire écho à Östäl et Gemenle, Robert et Roland se lancent dans un débat houleux. Robert prétend qu'il ne sert à rien de rester ici plus longtemps d'autant que les réserves de puissance diminuent à chaque minute ; Roland parle d'une troisième voie qui consisterait à revenir dans le passé pour récupérer Lafleur. Si Robert persiste dans son idée en expliquant que ce n'est pas la disparition d'un Lafleur qui allait suffire à modifier la marche de la planète et de l'univers, Roland reste campé sur ses positions. Le risque de l'inconnu est bien trop grand.

Colette et Gérard que tous avaient oublié, saucissonnés qu'ils sont au fond du sous-marin, se font entendre en gémissant derrière leurs baillons. Robert s'approchent d'eux et attend l'assentiment de ses camarades pour enlever les torchons qui empêchent les malfaisants de s'exprimer clairement. Ils ont leur mot à dire à cet instant où personne ne sait vraiment quelle option choisir. Colette et Gérard sont d'accord. Lafleur n'a aucune importance. Il faut repartir et quitter la préhistoire au plus vite. Roland profite de cette prise de position pour proposer que l'on vote. Alice se lève pour affirmer que c'est bien ce qu'il faut faire. Östäl et Gemenle cessent leurs chamailleries et, en hésitant tout de même un peu, acceptent l'idée d'un vote. En peu de temps, pressés par le temps, tous à l'exception de Gaëlle prennent le parti de la voie démocratique. Il faut longuement expliquer aux gendarmes le choix qui leur est proposé. On n'est pas bien certain qu'ils aient fini par comprendre quelque chose mais ils se disent d'accord pour voter à la condition que l'on leur promette qu'il y a une chance pour qu'ils trouvent de quoi boire au bout du compte. On leur promet que c'est possible mais pas sûr. Ils se disent satisfaits de cette promesse.

On passe alors au vote à main levée. Qui est pour que l'on tente de repartir vers le 21e siècle ? Qui est pour que l'on retourne dans un passé proche ? Qui s'abstient ? La décision d'aller vers l'avenir quoi que l'on y puisse trouver est prise. Roland distribue les rôles. Östäl et Gemenle aux commandes du Nautilus. Gérard et Colette aux tâches ingrates de pompages et de pédalage. Alice Robert et lui-même pour aider partout où cela sera nécessaire. Gaëlle est exemptée de tout rôle. Et pour ce qui concerne les Chapraudt ? Les Chapraudt sont partis bouder dans leur coin. Ils viennent de comprendre que le calvados ne sera peut-être pas présent au terme de l'aventure et ils prétendent qu'ils se sont faits avoir. Ils menacent de faire un rapport carabiné très bientôt et tout le monde s'en fout.

Östäl annonce qu'il est prêt. Gemenle acquiesce et dit qu'il est prêt lui aussi. Il ordonne à Colette et à Gérard de pédaler et de pomper le plus fort qu'ils le peuvent pour économiser l'énergie comptée du Nautilus. Östäl bascule un grand levier, le tableau de bord s'illumine de tous ses feux. Sur un signe de Östäl, Gemenle actionne des manettes et des interrupteurs. De la main, il fait signe à Colette et Gérard d'accélérer la cadence. Et bientôt, le Nautilus entre en vibration. Roland annonce que la plongée a commencé. Robert, l'œil rivé au périscope assure que tout va bien. Alice rassure Gaëlle qui montre de sérieux signes d'inquiétude.

Les parois du Nautilus craquent. La pression est de plus en plus intense et c'est un silence de plomb qui se fait dans l'appareil. Le sous-marin s'enfonce de plus en plus. Plongé dans le manuel d'utilisation, Östäl veut être certain du moment où il devra agir pour lancer le voyage temporel. La fenêtre de lancement est diablement étroite. Trop tôt, il ne se passera rien et il faudra remonter à la surface. Trop tard, on ne sait ce qu'il pourra se passer mais, selon ce qu'il lit, il est possible que ça soit une désintégration moléculaire qui survienne. Quoi que ce ne soit pas sûr.

Dans dix secondes. Dans neuf secondes. Huit. Sept. Six. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Une. Top ! Östäl bascule rapidement la commande qui va ouvrir le voyage dans le temps tout en pressant avec force et détermination sur la pédale de renversement du pied gauche. Le Nautilus se retourne cul par dessus tête, une alarme retentit, une lumière intense, presque douloureuse semble exploser dans le sous-marin qui est secoué de tremblements. On jurerait que le temps s'est arrêté. Plus personne ne parle, plus personne ne bouge. En quelques secondes, le silence complet gagne le Nautilus qui paraît immobile, inerte. Il ne se passe plus rien du tout. Les regards se croisent, inquiets et questionneurs. Gemenle est penché sur ses cadrans et écrans. Il prend des notes. Il pose des opérations et fait des calculs. Il consulte ses notes et pose son crayon avant de se tourner vers l'équipage.

— Ja. Normalement, nous zommes arrifés à pon port.

Robert lance un œil dans son périscope. Il regarde à droite, à gauche, devant, derrière.

— C'est bizarre. On dirait bien que ça ressemble à ce que l'on a connu mais pas tout à fait. Je ne sais pas où nous sommes arrivés et quand nous y sommes arrivés. Bizarre. Etrange, même. Déjà, bon, à mon avis, nous ne sommes pas à Pont-Aven. Je ne sais pas comment vous dire. Tout me semble plus grand, plus gros. Une végétation du genre tropicale mais une végétation tropicale peu commune. Là, je vois des arbres énormes qui portent des fruits qui me paraissent gigantesques. Attendez. Mais oui ! Des pommiers ! Des pommiers pleins de pommes géantes !

— Des pommes ? Des pommes ! Hourra ! explosent les Chapraudt.

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