Il n'y a pas meilleur que le mauvais

Aujourd'hui, je cherchais un peu une idée de billet et j'en ai trouvé une qui, j'en suis certain, ne manquera pas de vous laisser pour le moins perplexe.
De l'exigence naît l'excellence ! Un jour, pour rire, j'ai trouvé cette formule. Je ne dis pas que personne ne l'a trouvée avant moi mais peu importe, elle m'a fait rire. Je m'imaginais la sortir un jour à un admirateur (ou trice) qui viendrait à me féliciter pour l'ensemble de mon oeuvre. Ça serait tout à fait parfait pour passer d'un coup pour un prétentieux surchoix. Ou pour un provocateur pourvu que la personne comprenne un peu l'humour, bien sûr.
Etant entendu que je n'ai pas d'admirateur (trice) et que mon oeuvre se résume à pas grand chose (je m'en sers parfois pour allumer le feu), je n'ai jamais eu l'occasion de sortir en public cette formule. Dommage, ça nous aurait fait rire un peu et par les temps qui courent, on ne peut refuser un franc moment de rigolade.

Et puis, parce que je réfléchissais à tout cela en cherchant cette idée de billet, voilà que je me dis que ma devise, si je devais en avoir une, serait : "toujours faire pire". Et là, je me dis que, si l'on s'y arrête un instant, il est aussi difficile de faire le pire que de savoir faire le meilleur. Enfin, peut-être, hein. Je n'en suis pas certain mais c'est une piste de réflexion.
Par exemple, il m'est difficile de faire de pires dessins que ceux que je faisais il n'y a encore que quelques années et que je ne supporte plus de voir. Je sens confusément qu'il me faudrait vraiment beaucoup d'efforts pour parvenir de nouveau à produire de pareilles horreurs. Ce que je supporte encore moins que de revoir ces dessins, c'est que quelqu'un me dise qu'ils sont bien. Ça, vraiment, ça me met hors de moi. Non mais quelle outrecuidance extrême ! Si je dis que c'est de la merde, c'est que c'en est ! Notez au passage que je suis bien conscient du fait d'en faire encore, de la merde. J'ai des gros moments de désespoir, parfois. Lorsque j'ai une idée de dessin et que je n'arrive pas à le faire, par exemple. C'est aussi frustrant que de faire un dessin sans savoir ce qu'il signifie. C'est pénible.
L'autre jour, je lisais une vieille revue de bandes dessinées des années 80 et, forcément, je tombais sur des auteurs qui étaient plus jeunes et moins expérimentés qu'aujourd'hui (sauf pour ceux qui sont morts entre temps). Je me disais que, forcément, certains devaient rougir de leurs dessins de l'époque. Si la technique et le style de certains ont bien évolué avec le temps, il en est d'autres qui dessinent encore moins bien qu'il y a près de trente ans et j'en arrive à me demander si ce n'est pas là leur but : tendre vers le pire.
Je sais bien que cela ne se fait pas de dire du mal de Franquin, mais il m'a été donné de voir des "Gaston" qu'il avait dessiné sur la fin de sa vie. Si la technique était toujours bien là, on sentait qu'il avait perdu son personnage. Il ne faisait pas du "pire" mais son Gaston était devenu une sorte de copie de l'original. Il paraissait plus grand, plus jeune. A la limite, je préfère les premières planches de ce personnage.
Il y a quelque temps, je ne sais plus où, je lisais un entretien qu'avait eu un journaliste avec Vuillemin et dans laquelle le dessinateur "crade" avouait qu'il ne supportait pas ses premiers dessins parus. Moi qui ai rencontré Vuillemin il y a bien longtemps dans Hara-Kiri, j'avoue ne pas voir une différence profonde entre ses dessins de l'époque et ceux d'aujourd'hui.
Franquin et Vuillemin sont deux dessinateurs que j'aime autant l'un que l'autre. Chacun à sa manière, ils sont devenus maîtres. Là où on pressent un Franquin capable de travailler des heures un dessin, on imagine un Vuillemin torchant une planche complètement bourré et vomissant sur sa table à dessiner. Et franchement, je comprends que l'on puisse être insensible aux dessins de l'un ou de l'autre des deux dessinateurs (ou des deux), mais je ne comprends pas bien que l'on puisse les détruire. On dira que l'on aime ou non mais c'est tout.

Qu'est-ce que je voulais vous dire, moi ? Oui. Donc, je me demande s'il n'est pas aussi méritoire de faire du mauvais que de faire du bien. Même, peut-être, plus méritoire de faire du mauvais que de faire du bien. Le bien, c'est sûr, il va pas provoquer. Le public, le lecteur, l'auditeur, quelle que soit la personne qui va être confrontée à l'oeuvre d'art belle et bien faite va adhérer au propos de l'artiste. Par contre, face à une oeuvre moche et mal faite, volontairement ou non, ça sera une autre paire de manches. Mais je pense que ma vision des choses est un peu simpliste, tout de même. Prenons Sade. S'il avait écrit les "120 journées de Sodome" en utilisant un mauvais français, ça aurait sans doute moins été provocateur...

mauvais dessin



Or donc, puisque je pense que le mauvais vaut le bien, je vais m'ingénier à faire le pire du pire en matière culinaire pour ce soir.
Je vous le disais, j'ai fait un pot-au-feu, l'autre jour. Là, je n'ai plus de légumes mais il reste de la viande et du bouillon. Héhéhé... Alors, je vais découper de la viande en petits morceaux et dans le bouillon, je vais faire cuire des pâtes, des macaroni tout ce qu'il y a de plus vulgaires. Même, je vais aller jusqu'à ne pas mettre beaucoup de bouillon et de laisser cuire jusqu'à absorption totale. Ça promet d'être parfaitement ignoble surtout si je pousse le vice jusqu'à mettre du parmesan sur cette infâme ragougnasse.

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