J'aime bien la photo. Je ne dis pas être un très bon photographe. J'ai parfois la prétention de ne pas être tout à fait mauvais. Il m'arrive de penser que les bons photographes, les meilleurs que moi, ont la chance d'utiliser du bon matériel. Des boîtiers hors de prix et des objectifs onéreux. Alors, évidemment, c'est facile de faire de belles photos avec du matériel comme ça. D'ailleurs, on parle de gamme "professionnelle". Ça explique tout. Le talent, ce n'est qu'une question de moyens financiers.
Bernard Dupuy, puisque c'est de lui qu'il s'agit, je l'ai rencontré il y a quelques années. Je ne me souviens plus exactement quand. Il devait faire des photos pour le compte de la société qui m'emploie et mon patron m'avait proposé, sachant que j'aimais bien photographier à mes heures perdues, de jouer l'arpette. J'avais accepté de bonne grâce, me disant qu'il devait bien y avoir moyen de grapiller quelques techniques et conseils utiles et formateurs. Je crois beaucoup aux vertus de l'apprentissage.
Bernard est arrivé un matin avec son vieux fourgon rouge. Je l'ai aidé à décharger son matériel. Des vieux portants, un vieux pied photo, des malettes métalliques qui avaient bien vécu. J'étais, je dois l'avouer, un peu déçu. Je l'ai été encore plus lorsqu'il a sorti son Mamiya 67 à la peinture écaillée. Avec du matériel pareil, c'est sûr, il allait faire des photos floues et mal exposées. On installait les flashes et le fond bleu en papier. Là, Bernard a commencé ses mesures de lumières, cherchant à équilibrer les quatre sources de lumières en promenant son flashmètre d'un point à l'autre. Il semblait anxieux. Du coup, j'étais inquiet. Nous fîmes une pause cigarette pour décompresser.
Mon rôle consistait principalement à placer les sujets à photographier et à nettoyer le fond bleu sur lequel nous étions obligés de marcher entre chaque déclenchement. Nous ne parlions pas beaucoup. Nous savions ce que nous avions à faire. Peu à peu, nous nous apprivoisâmes. Je compris alors que nous étions globalement aussi timide l'un que l'autre et que nous préférions travailler seul. Pour autant, nous commençâmes à nous parler. Le climat se détendait et nous pûmes aborder des questions techniques. Il m'expliqua quelques techniques, nous parlâmes de nos premiers appareils photos, des galères, des réussites, de la qualité des différentes pellicules et nous finîmes par être complètement copains. Ce fut une excellente journée de travail.
Je n'étais cependant pas tout à fait rassuré quant aux résultats des prises de vue. Il fallait attendre que les rouleaux de film soient développés pour savoir. J'avais obtenu de pouvoir regarder dans le viseur du Mamiya et de faire une mise au point. J'avais été un peu effrayé par le point dur de l'objectif. Quelques jours plus tard, les diapositives arrivaient et il fallait reconnaître que le résultat était là. Les photos étaient inintéressantes par leur sujet mais parfaites par la technique. Je n'eus l'occasion de revoir Bernard que quelques fois, vite fait. Il m'avait proposé de passer le voir chez lui, je n'avais jamais osé l'appeler de peur de le déranger.
Et puis l'autre jour, je le revois. Il m'explique qu'il a acheté un nouveau Macintosh, une nouvelle imprimante, une licence de Photoshop et qu'il est passé au numérique depuis quelques années. Il me demande si je peux lui donner un coup de main pour toutes ces choses qu'il ne maîtrise pas complètement. J'accepte de bon cœur ! Aujourd'hui, je suis donc allé au Vertiol. On a commencé par parler photo et Bernard me montre quelques unes de ses photos. Ce qui est agaçant avec Bernard, c'est son humilité. Et ce n'est pas de la fausse modestie, hein. Non, il est humble. Il se sait bon photographe, il sait qu'il fait de belles photographies, il sait qu'il est demandé mais il ne vous écrase pas du haut de son talent. Il en est presque à expliquer que la réussite de telle photo est à mettre au crédit de la lumière qui est arrivée au bon moment. Vous voyez le genre ? Il y a des photographes qui iraient presque jusqu'à prétendre qu'ils commandent au soleil.
Et aujourd'hui, j'ai compris que le matériel ne faisait pas tout. Bien sûr, Bernard a du matériel de bonne facture, quelques objectifs excellents. Ce n'est pas non plus du matériel "dernier cri". Pour tout dire, j'en suis presque à son niveau, question équipement. Un ton au-dessous mais pas si loin que ça. Par contre, je n'ai pas son œil et je n'ai pas sa main. Il ouvre une image sur son Mac. Je m'extasie devant la netteté, la précision. Il s'étonne et croit que je me moque. Il m'explique que le flou est dû aux conditions. Il voulait de la profondeur de champ et avait donc calé l'ouverture de son objectif à f:11. Du coup, il a dû déclencher au quart de seconde. C'est ça qui a généré ce léger flou. Ah bon ? Sans pied, je n'aurais même pas tenté de déclencher.
Et là, j'ai compris ce qu'était la passion. Je me suis dit que ni le matériel ni le sujet ne font l'artiste. Et finalement, c'est très bien comme ça. J'espère que nous nous reverrons bientôt. A priori, j'aurai à l'aider encore pour une autre imprimante grand format. Il m'a proposé d'utiliser son matériel d'éclairage pour faire quelques photos, de me montrer ses chambres grand format, de tirer des photos noir et blanc. Ça me donne bien envie de m'améliorer, tout ça !.
Un photographe, c'est quoi ?
Aujourd'hui, je suis allé aider un photographe de mes relations à installer une toute nouvelle imprimante et a créer ou ajouter des profils icc pour utiliser les beaux papiers sur lesquels il va imprimer ses photographiques magnifiques. J'ai surtout pu voir ses travaux. Ça calme.
1 De clafy - 23/07/2011, 00:06
C'est fort intéressant, votre article et la description du photographe et de votre travail ensemble. Merci Michel.
2 De Lib - 23/07/2011, 00:38
Bel hommage ! .. Moi , qui n'ai jamais trop bien compris la photographie , je m' extasie aussi parfois devant ces mystérieux talents ...
3 De michel - 23/07/2011, 00:51
Je ne sais pas trop s'il faut comprendre quelque chose à la photographie pour être photographe. Doisneau prétendait ne pas s'intéresser à la technique et ne la connaître que superficiellement. Vous qui prétendez ne pas comprendre la photographie ne vous empêche pas d'en faire de belles, non ?
4 De Jean-Christophe - 23/07/2011, 02:42
Quel beau récit et j'imagine, qu'elle belle journée pour vous, veinard !
5 De Sax/Cat - 23/07/2011, 09:18
Je me souviens d'avoir vu Guy le Querrec à Uzeste il y a quelques années.
Pour les ceusses qui ne connaissent pas, grand photographe de musiciens entre autres.
Il n'avait pas le dernier Canon EOS je ne sais pas combien.
Il n'avait pas un Nikon ou Canon argentique reflex.
Il avait simplement un bête vieux boîtier Leica (bon un Leica quand même), même pas reflex, et il a fait quelques centaines de photos.
Je n'ai pas vu les photos, mais je l'ai juste vu choisir ses angles de prise de vue, regarder ses sujets pour trouver le bon moment ...
Pas à dire, c'est un métier et un art.
6 De michel - 23/07/2011, 09:39
@Sax/Cat : Vous exagérez un tantinet. Il n'existe pas de bête vieux boîtier Leica et encore moins de bête vieux objectif Leitz. C'est peu ou prou ce qui se fait de mieux en matière d'optique, tout de même. J'ai eu la chance insigne de posséder un Leica avec ma copine de l'époque, un vieux M4 avec un Summicron 50 et un Summicron 35. Pour un appareil et des objectifs qui étaient déjà vieux, le budget était conséquent. Il n'y avait pas de système de mesure de la lumière, pas d'autofocus, une synchro-flash ridicule, une ergonomie toute personnelle... mais c'est avec cet appareil que j'ai réussi la seule photo dont je suis content. Un Leica, un 50mm Summicron, une pellicule Kodachrome 25 36 poses, un pied photo : une seule photo assez bonne à mon goût. De plus, le Leica a longtemps été considéré comme l'appareil des photographes de concert de Jazz, presque le seul accepté par les artistes parce qu'il est discret. Après, le Leica est aussi une affaire de snobisme, snobisme très présent dans le monde du Jazz, justement.
7 De MITO-MITO - 23/07/2011, 11:25
Ainsi, Michel, vous voici content de vous et, dans l'élan, sombrant sans retenue dans la vanité et l'arrogance, nous infligez-vous sans vergogne un jugement aussi péremptoire et définitif que peu argumenté.
Auriez-vous bouffé du Lion la nuit dernière ?
PS : pour snobisme et Jazz, Vian régla la question il y a fort longtemps...
8 De zaréelle - 23/07/2011, 12:11
@MITO-MITO :
Mais quelle verve ! Merci pour Vian !
9 De Sax/Cat - 23/07/2011, 17:18
Bien sûr que j'exagère et que le bête Leica est un concept oxymoresque.
Mais quand je vois des "amateurs" qui se la pètent avec des objectifs de 30 centimètres (de long, pas de focale) pour prendre des musiciens sur une scène à 5 mètres, j'avoue qu'il est rafraîchissant de voir un pro avec un boîtier tout pelé pour les mêmes conditions.
A part ça, il est bien connu que ni les rappeurs ni les rockeurs ne sont snobs.
10 De michel - 23/07/2011, 18:07
Oui mais le pro avec son boîtier tout pelé et sa focale fixe de 35 mm n'arrivera pas à isoler le contrebassiste qui joue en fond de scène. J'aime bien les amateurs. J'en fais partie à l'occasion.
11 De Sax/Cat - 23/07/2011, 19:25
Moi aussi j'aime bien les amateurs.
Mais entre un amateur (voire un pro, je ne citerai aucun nom pour ne pas me fâcher avec la moitié des jazzmen vivants) avec un saxo Super Action III qui joue de la daube et un Charlie Parker qui fait des miracles sur un saxo en plastique, mon choix est vite fait.
12 De michel - 23/07/2011, 19:35
Rectification : "qui faisait des miracles avec un saxo en plastique". Parce que c'est pas pour dire mais depuis quelque temps, il fait plus grand chose. Même si on dit qu'il va faire le bœuf avec Amy Winehouse.
13 De MITO-MITO - 23/07/2011, 19:56
Amy Winehouse... Avec un nom pareil, pas étonnant de ne pas faire de vieux os, d'autant moins avec de tels ascendants :
Winehouse was born in the Southgate area of north London to a Jewish family who were the source of her interest for jazz. Winehouse was the youngest child of Mitchell Winehouse, a taxi driver, and Janis Winehouse (née Seaton), a pharmacist. (Wikipedia)
J'espère que Dieu dans son infini tout ça aura pensé à interdire l'alcool, les plantes et la chimie au paradis, sinon le boeuf sera bien cuit !
14 De michel - 23/07/2011, 20:32
Auriez-vous perdu l'usage de la langue de France ? Nonobstant, il existe aussi une version française de wikipedia.
15 De MITO-MITO - 23/07/2011, 20:44
Oui,
mais Winehouse, en français, ça n'a rien de drôle,
chauffeur de taxi n'évoque pas De Niro,
le "née Seaton" n'est guère exotique
et l'on perd le style... particulier de cette version anglaise.
16 De michel - 23/07/2011, 20:47
Ce n'est pas faux. Remarquez qu'un Français se nommant "Maisondevin", ça aurait un certain cachet.
17 De Sax/Cat - 23/07/2011, 21:04
Il y a des gens comme ça dont j'apprends l'existence le jour où ils disparaissent.
Grande est ma honte, je sors.
18 De B - 25/07/2011, 08:58
Bravo pour Bernard, Il a ramé longtemps avant d'être reconnu.
19 De michel - 25/07/2011, 10:01
Oui. C'est souvent le cas lorsque l'on cherche à ne pas faire un métier "normal".