Quand l'empathie va, tout va

Il y avait ce qu'il convient d'appeler une copine. Je n'avais plus de nouvelles d'elle depuis de nombreux mois mais je la savais malade. Un cancer comme tant d'autres. Elle est morte. Deux courriers électroniques me l'ont appris.

Au fond, mourir c'est presque aussi bête que naître. Au moins, on peut le choisir. Ça fait toute la différence. On peut aussi avoir la prétention d'y échapper. Et là, c'est illusoire. S'il n'est jamais garanti que l'on naisse un jour[1], il est, tout au contraire, garanti que l'on mourra. On ne sait ni quand ni dans quelles conditions[2] mais on sait que ça arrivera. Il peut arriver que l'on ait le temps de s'y préparer. Il peut arriver que l'on puisse tenter de repousser l'échéance. Au fond, ce n'est que reculer pour mieux sauter.
Cette copine[3] a eu un répit. A moins qu'elle n'en ait pas eu. Je n'en sais rien. Il y a quelques années, elle m'avait dit être malade. Un cancer avait commencé à se développer. Sa sœur était morte peu de temps auparavant d'un cancer de la même espèce, il me semble me souvenir. Elle m'avait dit refuser la médecine occidentale et avoir foi en des méthodes et des thérapeutiques moins agressives, plus douces, plus exotiques, plus lointaines. Je n'avais pas plus d'avis à l'époque que j'en ai aujourd'hui sur la question. Entre temps d'autres personnes de mon entourage sont mortes de cancer ou d'autres choses pas beaucoup plus alléchantes et moi, je suis encore vivant. Ce sont les meilleurs qui partent les premiers, dit-on. Ça me garantit de vivre vieux.
Cette copine croyait s'en sortir. Il y a dû y avoir un couac. Rien ne permet de dire qu'elle aurait vécu plus longtemps si elle avait accepté les propositions de notre médecine occidentale. Et là n'est pas vraiment le propos, après tout. Elle est morte, on me l'a appris par deux courriers électroniques et c'est comme ça. Je pense que ce n'est pas une blague. Je ne vais pas chercher à savoir si c'est vrai ou pas. Ce n'est pas mon problème. Et puis, je n'avais plus beaucoup de nouvelles, de toutes les façons.
Je n'irai pas jusqu'à dire que je m'en fous, ce ne serait pas exact. Disons que je prends cette annonce avec suffisamment de distance et assez peu d'empathie pour ses proches que je ne connais pas. C'est sans doute triste mais je n'y peux rien changer. Comme je le dis dans ces circonstances avec la fierté de savoir dire une connerie : "c'est la vie".
Soyons clairs. Je n'aime pas plus la mort que la vie mais je reconnais que l'une et l'autre sont indissociables. Sans mort, pas de vie. C'est tout. On ne nous demande généralement pas si nous avons envie de naître. Je suppose que c'est parce que l'on doute de notre capacité à répondre consciemment. On ne nous demande que très rarement si nous avons envie de mourir. Je suppose que la plupart du temps, les gens ne le souhaitent pas. Mais il faut bien se faire à l'idée que c'est assez inéluctable, cette affaire. Ça fout la trouille. Mourir, c'est le grand saut vers l'inconnu. Il y a ceux qui disent qu'après, il y a le néant, le plus rien du tout. Et il y a les autres. Ceux qui causent de paradis, de vie d'après la vie et de toutes ces sortes de choses. Pour moi, je penche plutôt pour le grand rien. Mais je peux me tromper et, jusqu'à présent, on n'a pas encore été capable de me prouver grand chose qui soit en rapport avec cette question. Et je pense que je m'en fous, en fin de compte.

Mais je voulais causer d'empathie. Je me rends compte que l'empathie, je n'en suis pas trop capable. Des fois, je me demande si je ne suis pas un peu un salaud, moi.
Et puis sinon, je suis de retour. Je constate que vous n'avez pas été foutus de fournir les cent commentaires dont vous me menaciez. Vous êtes vraiment "petits bras". On ne peut pas vous faire confiance. Je ne vous en veux pas.

Notes

[1] On n'est jamais à l'abri d'une aiguille à tricoter ou d'une pilule du lendemain.

[2] Sauf en cas d'autolyse programmée, bien sûr.

[3] Que je me contenterai d'appeler ainsi.

Haut de page