Lion des montagnes

Alors que les rumeurs hasardeuses et les supputations cavalières annoncent une sortie de Mac OS 10.8 pour le 22 juillet prochain, je me dis qu'il y a bien longtemps que je ne vous ai pas emmerdé avec des histoires de Macintosh® et de Apple®.

Je ne me souviens plus vous l'avoir dit. En matière d'ordinateur, j'utilise presque exclusivement des appareils de chez Apple. Ceci implique d'utiliser autre chose que Windows comme système d'exploitation. En l'occurrence et pour l'heure, j'utilise principalement deux versions de Mac OS X, Leopard et Snow Leopard (10.5 et 10.6), selon que j'utilise une machine basée sur un processeur PPC ou Intel.
Sur le G4 que je démarre encore de temps à autres (et pas plus tard qu'hier) j'utilise Mac OS 10.4 (Tiger). Depuis l'arrivée de Mac OS X, les versions successives adoptent le nom d'un félin. Là, nous en sommes à Lion (10.7) et on annonce l'arrivée prochaine de Mountain Lion (10.8). La grande nouveauté de Lion a été de n'être pratiquement disponible qu'au téléchargement, en passant par une autre innovation apparue sous Snow Leopard, le App Store. Moi, le App Store, je n'ai pas adhéré. Pas plus qu'au iTunes Music Store, du reste. l'ITMS propose d'acheter de la musique en ligne et de l'écouter avec iTunes, le logiciel de chez Apple qui permet d'écouter de la musique sur un ordinateur (PC-Windows ou Apple), de graver un CD avec les morceaux contenus dans iTunes, de faire une copie d'un CD et quelques autres bricoles. Je n'utilise pas beaucoup ce logiciel pour la seule et unique raison que je considère que l'ordinateur n'est pas la machine idéale pour écouter de la musique.
Ainsi donc, je n'aime pas le App Store et puisqu'il faut en passer par là pour acheter Mac OS 10.7[1], je ne suis pas passé à Lion et en suis resté à Snow Leopard qui me convient tout à fait. Là, je me dirige tout à fait vers un refus de passer à la prochaine version du système. Je n'aime pas Lion et il est fort probable que je n'aimerai pas Mountain Lion. Et pourquoi ce désamour ? Parce que je n'aime pas la tournure prise par Apple depuis quelque temps. Avec le succès que l'on sait de son iPhone et du iPad, Apple a décidé d'œuvrer de plus en plus vers un rapprochement de ses ordinateurs et de ses appareils nomades que l'on nomme iBidules dans le petit monde des applemaniacs. On ne peut pas reprocher à Apple de vouloir gagner des sous. C'est le but de toute entreprise, après tout. On peut reprocher plein de choses à Apple, à commencer par sa politique commerciale, ses marges énormes, sa décision de faire fabriquer ses produits en Chine mais ce n'est rien par rapport à ce que moi je reproche de plus en plus à cette marque informatique que j'ai vraiment aimée et défendue. Depuis plusieurs années, on sent que Apple cherche à se désengager de sa clientèle professionnelle, quitte à laisser cette clientèle dans une situation bancale et inconfortable.
Il y a eu l'affaire des xServe et de Mac OS X Server, celle de Final Cut[2], celle des Mac Pro[3] ; il y a maintenant l'affaire du système proprement dit qui, peu à peu, fusionne avec l'idée que l'on se fait d'un système pour smartphone. J'ai eu à utiliser Mac OS 10.7 et je ne m'y retrouve pas du tout. Je sais bien que l'on peut revenir à un fonctionnement proche de celui de Mac OS 10.6 mais alors, dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi changer de système. Il reste toutefois que Apple a décidé d'encourager le passage à 10.7 en proposant son système à un tarif très bas. Il semble même que 10.8 sera encore moins cher. Bien sûr, ce n'est pas là de la philanthropie. Il s'agit ni plus ni moins que de pousser les utilisateurs d'ordinateurs Apple à se plier au modèle économique mis en place par la marque. Acheter, acheter et acheter encore sur les espaces de téléchargement de Apple. Pour cela, Apple n'hésite pas à mettre en place des limitations perfides qui obligent, par exemple, à avoir une machine récente et le système du même tonneau pour utiliser la dernière version de iTunes... tandis qu'un PC sous Windows XP suffit de l'autre côté. L'idée est bien entendu de miser sur le nuage, le cloud. Après avoir supprimé le lecteur de disquettes de ses machines[4], Apple supprime le lecteur de disques optiques, CD et DVD.

Apple keyboard Michel Loiseau graphiste Dordogne

Notons que l'idée du "cloud" n'appartient pas à Apple et que Google ou Adobe ont compris l'intérêt de la chose. Aujourd'hui, Adobe propose d'utiliser ses logiciels par un système d'abonnement. Sur le fond, il y a des bons côtés. Par exemple, l'utilisateur est assuré d'avoir toujours la dernière version de ses logiciels, pourvu qu'il paie son abonnement. Du jour où il ne paie plus, il ne peut plus non plus les utiliser, il ne peut plus travailler sur ses travaux. D'ici quelque temps, on peut l'imaginer, le "cloud" sera le passage obligé. On peut sans peine prédire la disparition du disque dur sur les ordinateurs. Alors, il faudra payer et faire une confiance aveugle aux entreprises qui détiendront les clés des fermes de serveurs. Au début, on met à disposition le service pour pas très cher voire pour rien (le cas de Google et de ses applications en ligne ou celui de facebook) puis, une fois que la dépendance est bien installée, on fait payer de plus en plus cher. Vous voulez vos données stockées chez nous ? Oui, c'est légitime, elles sont à vous. Seulement, il vous faut payer. Et puisque vous n'avez aucun moyen de les stocker chez vous, vous êtes dans la merde. Payez !
C'est le virage de l'Internet que nous sommes en train de vivre. De l'utopie de la connaissance gratuite pour tout, on en arrive à la monétisation du réseau mondial. Le seul point qui reste bancal, c'est que tous n'ont pas Internet partout tout le temps avec un débit suffisant. Une nouvelle fracture numérique arrive et je ne sais pas comment on va faire pour l'éviter. Je suis presque certain que l'on réfléchit à savoir l'importance de ce réseau mondial dans la vie quotidienne des gens. La dépendance est de plus en plus évidente et nous sommes de plus en plus nombreux à se sentir mal dès que l'on ne peut plus recevoir et envoyer des courriers électroniques ou consulter des sites essentiels[5]. La fin du Minitel est pour le 30 juin ; l'Internet obligatoire arrivera quand ?
Ce que l'on cherche à faire, c'est de rendre la machine et le réseau obligatoires. Quelle que soit la machine, smartphone ou ordinateur ou tablette. D'ici quelques années, peut-être même n'y aura-t-il plus de machine en tant que telle. Peut-être serons-nous connectés physiquement. On y réfléchit déjà. J'ai entendu pas plus tard qu'hier que l'on parle d'enregistrer son programme interne, son "moi", ses pensées, son savoir, ses goûts, son âme, en quelque sorte. De manière à ce que l'on devienne virtuellement immortels mais aussi parfaitement désincarnés. Ainsi, l'humanité arriverait enfin à son point culminant, débarrassée des tracasseries inhérentes à la vie telle que nous pouvons l'imaginer actuellement. Une humanité qui serait quantifiée par des bits, des octets, stockés sur des serveurs inter-connectés. Ce n'est déjà peut-être plus de la science-fiction, cette affaire.
Le corporel ne sert à rien. Une vie virtuelle, numérique, ne serait pas moins vraie que ce que nous connaissons sous la forme d'un tas de chair et d'os. Elle serait à coup sûr bien plus palpitante, bien plus riche, débarrassée des tracas et désagréments de cette vie matérielle si fragile, si fugace. Notre vie n'est que ce que notre cerveau nous en donne l'impression, en fin de compte. Toutes les sensations, toutes les émotions pourraient très bien être synthétisées par des programmes informatiques avec à la fois une liberté et une richesse totalement insoupçonnées pour l'heure. Avec l'immortalité, on ferait abstraction du temps. Nous nous affranchirions de tout cela, nous n'aurions plus qu'à nous occuper de notre plus grand bonheur sans plus jamais craindre de faire quoi que ce soit qui puisse nous mettre en péril. Aujourd'hui, qui voudrait expérimenter la sensation du couperet de la guillotine tranchant son cou devra y réfléchir à deux fois ; dans une vie numérique, il expérimentera et reviendra à la situation précédente en en riant. Les limites ne seront que celles de notre imagination et rien ne sera plus impossible. Partir aux limites de l'univers ou plonger au cœur de la matière sera courant voire d'une banalité affligeante. Ce sera vraiment bath, tout de même. Non ?

Alors, finalement, peut-être bien que la mutation est en marche et que chez Apple, on le sait. Si cela se trouve, tout ce que je peux reprocher à Apple ses temps-ci me fera sourire d'ici quelques centaines d'années. L'avenir est passionnant. Dans ce futur qui se dessine, il ne pourra plus y avoir le moindre problème. La planète que nous connaissons ne sera plus qu'un concept intéressant. Rien n'empêchera de placer des serveurs partout dans l'univers pour nous assurer de notre survie, sinon éternelle du moins seulement limitée par celle de l'univers. Puisque nous n'aurons plus besoin que d'énergie pour vivre, de l'énergie pour les serveurs uniquement, nous n'aurons plus besoin de produire grand chose et du moins rien ou presque qui ne puisse être produit par des machines. Logiquement, il n'y aura plus de guerre, plus de conflit, plus de crime et plus de règle, plus de loi, plus de police. Juste des êtres pensants libres et surpuissants. Enfin, l'homme aura inventé ce après quoi il court depuis son apparition, un dieu éternel, omniscient, omniprésent.

Notes

[1] Je sais que l'on peut aussi acheter une clé USB pour avoir Mac OS 10.7.

[2] logiciel de montage vidéo professionnel

[3] machines professionnelles qui ne sont pratiquement plus mises à jour et sont vendues à des tarifs prohibitifs

[4] Je ne le regrette pas

[5] Tels que ce blog, par exemple.

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