Selon la légende et la tradition, tout aurait commencé sous le règne de Louis VII, roi capétien, époux d'Aliénor d'Aquitaine, fils de Louis VI et père de Philippe II. Nous sommes en plein Moyen Âge et la guerre de 100 ans n'a pas eu lieu. Louis VII part pour la deuxième croisade et se sépare de son épouse Aliénor. Du coup, cette dernière reprend les territoires qu'elle a apporté en dot et se marie avec Henri II d'Angleterre. L'Aquitaine devient donc, de fait, anglaise et on peut voir là les prémices de la guerre de 100 ans qui ne commencera qu'en 1337. Ni la légende ni la tradition ne prétendent cependant que le roi Louis VII aurait participé activement à ce qui s'est passé à Pontoise il y a 843 ans, en 1170.
Nous sommes au comptoir de la baraque foraine où l'on vend le ginglet et un bénévole de la commune libre de Saint-Martin nous donne sa vision des faits : " Les mareyeurs arrivaient de Dieppe avec un chargement de harengs qu'ils comptaient vendre à Paris. A l'époque, il fallait payer l'octroi pour passer le pont de l'Oise. L'arrivée à Pontoise était l'occasion de faire la fête et de faire griller des harengs ". D'un point de vue historique ce raccourci est sans doute un peu expéditif. Selon wikipedia, en cette fin du XIe siècle les moines transfèrent leur abbaye sur le plateau Saint-Martin et obtiennent le droit de foire et il semble attesté qu'il est déjà question de harengs et de ginglet. Nous avons donc bien là l'une des plus anciennes foires de France.
Pontoise est une ville importante durant le Moyen Âge. Capitale du Vexin français, la ville est l'un des lieux de séjour préféré des rois capétiens que sont Philippe Auguste ou Saint Louis. C'est une belle ville située à un peu plus de vingt kilomètres au nord de Paris. J'y ai vécu quelques années entre 1969 et 1974 avant de revenir à Conflans-Sainte-Honorine. Je n'étais pas revenu à la foire de la Saint Martin depuis le début des années 70.
Le ginglet
Les harengs, tout le monde voit plus ou moins ce que c'est. Ça vit dans l'eau, ça se pêche, ça se mange. C'est un poisson et c'est bon. Le ginglet, par contre, on ne peut pas connaître si l'on n'est pas né natif de la région où on le trouve. Aussi bizarre et étrange que cela puisse paraître à certains, on ne fait pas de vin que dans le Bordelais. La vigne est montée bien au-dessus de la Loire et a gagné les coteaux de Pontoise. Là, on fait un petit vin sans grande prétention qu'il convient de boire assez rapidement. C'est le ginglet. Un vin tiré majoritairement du gamay, légèrement acide mais tout à fait buvable. Si l'on a le palais trop gâté par les crus trafiqués que l'on boit en Aquitaine, si l'on est trop chauvin, on peut faire la grimace en avalant le premier verre. Le deuxième coule déjà beaucoup plus facilement et il se trouve que si l'on accompagne le troisième d'un bon hareng, celui-ci ne manque pas d'en appeler un quatrième.
Alors certes, on ne dira pas que c'est un vin qui se classe parmi les meilleurs mais il me semble que, tradition pour tradition, celle du ginglet vaut largement celle du Beaujolais nouveau, le goût de banane en moins.
Longtemps, au concours du meilleur ginglet tenu chaque année à l'occasion de la foire de la Saint Martin, c'est Eugène Berrurier, maire de Conflans-Sainte-Honorine et cultivateur de son état qui remportait le premier prix. Lorsque j'étais petit, le ginglet était quelque chose qui me remplissait d'effroi. Mon père prétendait qu'en boire un verre relevait de la pire épreuve qu'un homme sain puisse connaître. Il me semble qu'il exagérait beaucoup. Possible aussi qu'il n'ait pas été en mesure de juger de la qualité d'un vin. Quoi qu'il en soit, il m'a fallu attendre longtemps avant d'oser boire mon premier verre de ginglet. Je m'attendais au pire et il n'est pas arrivé. C'est en fait un vin honnête, un vin de copains qui se laisse boire et qui fait claquer la langue de contentement.
Le ginglet est un vin de soif. C'est aussi un vin de copains. Pour la foire de la Saint Martin, les producteurs mettent leur vin en commun pour être vendu. Les bénéfices de cette vente sera utilisé pour offrir des présents aux anciens de la ville. On le vend au verre ou à la bouteille et on vient le boire pour la tradition et aussi pour se faire plaisir. Dans et devant la petite baraque foraine qui écoule le vin, c'est l'esprit bon enfant qui prédomine. On est aimable et on rigole en s'envoyant les verres de ginglet dans un grand sourire. On se demande un peu si les jeunes sauront prendre la relève d'ici quelques années. Peut-être se pose-t-on la question depuis le Moyen Âge.
Les harengs
Il est une question sur laquelle la tradition ne saurait transiger, c'est celle de la manière de manger les harengs. Il est hors de question de faire autrement que de les manger avec les doigts. C'est comme ça. On achète ses harengs d'un côté, son verre de ginglet de l'autre et on cherche un coin libre sur les tréteaux. On déchire le poisson avec les doigts, rien pour les essuyer. Et c'est très bien comme ça.
On passe environ 1200 kg de harengs tout au long de la durée de la foire. On les mange sur place mais on peut aussi les ramener chez soi pour les manger en famille. Ils sont grillés sous vos yeux par une équipe qui connaît son métier et se protège les yeux de la fumée sur de grandes grilles.
Un petit plateau, une feuille de papier et on vous pose les harengs là-dessus sans façon. Plonger les doigts dans la chair des harengs pour en déchirer des morceaux en se brûlant un peu est déjà un petit plaisir. Les grincheux diront peut-être que les règles d'hygiène ne sont pas exemplaires. Je ne suis pas certain que l'on déplore trop de morts chaque année. Il me semble que si l'on obligeait la foire à passer à l'étal inox et à toutes les fadaises édictées par les pisse-froids d'hygiénistes, celle-ci perdrait beaucoup de son charme.
En une petite quarantaine d'années, je ne suis allé que deux fois à la foire de la Saint Martin. On ne peut pas dire que je sois fidèle à la fête. Il est bien probable que je n'y retournerai jamais. Bientôt, je n'aurai plus de raison d'aller à Pontoise et dans toute cette région. Ma vie est maintenant périgourdine et ici, on ne mange pas plus de harengs que l'on ne boit de ginglet. Je souhaite néanmoins une bonne continuation à cette foire et à toute son équipe de bénévoles ainsi qu'à toutes les personnes qui font vivre cette manifestation.
1 De shanti - 16/11/2013, 11:17
Sympa !
Manger avec les doigts, quel régal !
Ces harengs fumants accompagnés du ginglet sont, ma foi, fort tentants.
L' odorat frétille et les papilles salivent.
2 De Liaan - 16/11/2013, 11:33
Malheureusement, je pense que vous n'avez pas acheté un tee-shirt de la Commune Libre de St Martin ?
Quand j'étais môme, on allait à la Foire aux Cochons, à Champigny sur Marne, et la spécialité pour les gosses, c'était le pain d'épice en forme de cochon. C'était une très ancienne foire, datant du Moyen-âge, enfin, c'est ce qu'on disait, qui avait lieu en novembre. J'avais oublié cette foire, lorsqu'un gars de Champigny roulant en MZ, lors d'une assemblée générale du Club MZ, à Vierzon,me rappela l'existence de cette Foire aux Cochons. La dernière fois que j'y étais allé, c'était vers 1987, et il y avait un vaste vide-greniers, en plus des manèges forains. Je n'avais pas été voir s'il y avait toujours des cochons en pain d'épice.
3 De Boumbah! - 16/11/2013, 11:36
Un petit supplément :
http://entreseineetoise.free.fr/ven...
4 De mariomar - 16/11/2013, 14:13
Un très beau reportage , les photos n&b retranscrivent bien l'ambiance : on est au comptoir le parfum de hareng en prime .
5 De Martine. - 16/11/2013, 17:23
Merci d'avoir déposé un commentaire sur mon billet de la foire Saint-Martin. J'ai lu avec plaisir votre billet, n'habitant plus à Cergy en permanence, je l'ai manqué cette année et j'étais triste de ne pouvoir y aller goûter le ginglet et manger le hareng avec les doigts comme le veut la tradition.
6 De arielle - 16/11/2013, 19:01
Réjouissant reportage. Que dire si ce n'est : " Et que vive le hareng encore et pour longtemps".
7 De Liaan - 16/11/2013, 19:53
Moi, et ma foire aux cochons....
Wilipédia nous rappelle :
<< Longtemps, la vigne a revêtu les pentes de Champigny. Le cru local, le piccolo, s'appréciait dans toute l'Ile de France. En 1275, une ordonnance de Philippe III interdit l'usage du gamay qui lui est mélangé. Les vignerons campinois vendent la plus grosse part de leur récolte.
Mais les droits d'octroi sont élevés à Paris et c'est en banlieue que l'on va consommer. Ainsi se multiplient, sur de nombreux sites autour de la capitale, les cabarets et guinguettes.
On en vient même à les considérer en 1787 comme nécessaires à la santé physique et morale du peuple ! La vogue des guinguettes survit à la baisse des taxes d'octroi. Aux charmes de la nature s'ajoutent, au XIX siècle, l'attrait de la pêche, du canotage et du bal champêtre.
La Foire aux cochons, qui se tient encore tous les mois de novembre, est une concession du roi Charles IX, en 1563. Elle témoigne de l'importance du porc >>
Ah ! le "piccolo" !
Et que l'on reparle toujours du Gamay... Je ne sais pas ce que c'est que ce vin, moi, pour qui, le meilleur vin, c'est la bière...
Je me sens en famille.
Et l'on parle toujours de l'octroi.
P..! Que feraient, encore, les "bonnets rouges" ?
8 De Liaan l'intégriste du véhicule ancien - 16/11/2013, 20:00
@Liaan : Je crois que l'octroi a existé assez longtemps pour que des véhicules automobiles a essence devaient déclarer la quantité de combustible dans le réservoir !
'Fectivement, qu'en auraient pensé les "bonnets rouges", de ces taxes...
9 De Liaan - 16/11/2013, 20:02
@Liaan l'intégriste du véhicule ancien : "Automobiles à essence..."
10 De Liaan l'intégriste du véhicule ancien - 16/11/2013, 20:05
@Liaan : Je suis en faute.
C'est sûr que "automobile a essence ... de quoi ?"
"de polluer ?"
Merci de corriger ainsi mes fautes d'orthographe.
Je voulais parler d'autos à essence.
11 De Liaan - 16/11/2013, 20:13
Pontoise : depuis 1170
Champigny : depuis 1563...
Tous mes respects pour Pontoise.
Et pour toutes ces vieilleries qui perdurent (du moment que l'on peut boire un coup pour saluer les anniversaires).
12 De michel - 17/11/2013, 11:16
@shanti : Ce n'est pas une très fine gastronomie mais c'est vrai que c'est plaisant.
@Liaan : Non, je n'ai pas acheté le T-Shirt. Deux raisons à cela. La première est qu'il est rare que je porte des T-shirts ; la seconde est qu'il n'en restait qu'un et que mon frère l'a acheté.
Dans le genre, il y a aussi la foire du trône et la fête à neuneu. La foire du trône est, il me semble, la plus ancienne foire de France. La fête à neuneu est bien plus récente.
@mariomar : Merci !
@Martine. : Ce doit être mon frère qui a laissé le commentaire.
@arielle : Ouais !
@Liaan : Le gamay est un cépage. C'est celui que l'on trouve dans le Beaujolais et dans de nombreux vins de Loire.
@Liaan l'intégriste du véhicule ancien : Effectivement. L'octroi disparaît de Paris durant la deuxième guerre mondiale, en 1943.
13 De Liaan l'intégriste du véhicule ancien - 17/11/2013, 12:06
@michel : l'octroi supprimé en 1943. Je ne savais pas l'année de sa disparition ! j'avoue mon incompétence sur ce sujet. Merci pour ce rappel.
Je pense que pas mal de nos contemporains ignore aussi ce fait. J'ai de vagues souvenirs des parents et arrières parents qui parlait de ce fameux octroi, lorsque, comme à une frontière, on se devait de déclarer la marchandise transportée.
J'ai souvenirs de cet octroi dans la littérature du dix-neuvième siècle, début vingtième, voir les "Rouletabille" et autre "Arsène Lupin", je pensais que cet octroi avait plutôt disparu dans les années 1910, 1920.
Y'a pas à dire, avec votre blog, on s'enrichit chaque jour ! Merci !