Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (24)

Dans l'épisode précédent, on apprend que Colette n'est pas morte et on découvre avec effroi qu'elle sait "redonner vie" à un cyborg en lui soufflant dans les bronches. Tandis que le facteur est réquisitionné avec sa Renault 4 jaune, Robert, Roland, Gaëlle et alice arrivent en Normandie et c'est Arielle qui nous livre la suite.

Pendant ce temps-là du côté de Barfleur.

Après avoir récupéré les clés, ils arrivèrent à la maison de pêcheur du "grand oncle", curieusement baptisée " Villa la Falaise". Dans ce coin de Normandie, on ne voyait guère de falaise. Vu de la "villa", l' horizon était constitué d'une armada de barques au mouillage devant les quais du petit port avec au loin la silhouette du phare de Gatteville.

Un peu à l'écart du village donc, la "Villa" représentait pour eux un havre opportun, la promesse d'un répit. Gaëlle et Roland prirent place sur le canapé en vieux cuir à peu près aussi éreinté que nos deux comparses. Robert s'activa pour faire une flambée dans la cheminée. Alice gara l'ambulance dans l'appenti à l'abri d'éventuels regards indiscrets et emporta le sac à provisions à l'intérieur.

Ils avaient pris le temps de faire quelques courses. Mine de rien, nous étions déjà le 24 décembre et dans les rues de Barfleur, leur présence parmi d'autres vacanciers pressés de finir les derniers préparatifs de Noël n'avait éveillé aucun intérêt.

Ils décidèrent de s'accorder quelques heures de sommeil avant d'essayer d'y voir clair dans toute cette affaire. Ils étaient loin de se douter que Colette, en vie, était déjà sur leurs talons.

...

La 4L des PTT se rangea derrière la berline.

- Kenavo collègue, dit l'inspecteur. Simple routine, présentez-moi les papiers.

Le facteur lui tendit son permis de conduire administratif et sa carte pro comme il se doit. L'inspecteur les examina et lui rendit le tout en jetant un coup d'œil à l'arrière du véhicule. Colette tenait son arme prête au cas où et mit Hans en position off. On n'est jamais mieux trahi que par les siens. Fussent-ils de chair et de métal, les cyborgs pouvaient se révéler aussi gaffeurs et idiots que les humains. Une bonne idée que ce bouton inventé par Lafleur pour désactiver le cyborg. Si seulement, un tel bouton avait pu être implanté sur ce crétin de Gérard, se dit-elle avec rage. Il ne perdait rien pour attendre ce minable.

- Merci collègue, tout est en ordre. Ben dis donc que de paquets ! On voit bien que Noël approche. Bon courage pour la suite et soyez prudent. On annonce des pluies verglaçantes. Bonnes fêtes !

- Vous de même, répondit le facteur les mains moites mais soulagé.

D'habitude, les inspecteurs étaient plutôt prompts à enquiquiner leur monde. La voix de la mégère se fit entendre:

- Allez ! Ouste ! Démarre, la route est longue ! Une vraie bénédiction cette 4L des PTT ! C'est quoi ton nom ?

- Arthur Mâme. Arthur Conan.

- Ah, ah, ah ! Ce sont des comiques tes parents.

- Non Mâme. Ils sont épiciers et…

- Ferme-la et regarde la route !

- Oui Mâme, répondit Arthur de plus en plus mal à l'aise. Un cyborg pensa-t-il ! Le baiser de la mégère au cyborg ! Jamais les collègues ne le prendraient au sérieux quand il leur raconterait. Ouais, encore faut-il que je m'en sorte vivant. Il déboita pour doubler un cycliste. En regardant dans le rétroviseur, il se dit qu'il avait déjà vu ce 4x4. Mâme, je crois qu'on est suivi, dit-il, hésitant.

- Qu'est-ce que tu racontes. Colette se dégagea de dessous les paquets et regarda vers l'arrière. Le 4x4 ?

- Oui, il était déjà là quand nous avons bifurqué toute à l'heure. Il s'abstint de faire remarquer qu'il n'y avait pas d'autre véhicule que lui à l'horizon.

- Ralentis pour voir.

Le 4x4 ralentit lui aussi et leur fit des appels de phares accompagnés de coups de klaxon intempestifs. Pedro et Francis, se dit Colette, c'est sûrement eux. Qu'est-ce qu'ils foutent là. Lafleur a pourtant bien dit à ces deux abrutis recherchés par les flics de se planquer !

- C'est bon Arthur. Gare-toi. Je les connais.

Le 4x4 se rangea à quelques mètres derrière la 4L. On entendit une porte claquer. Un homme en imper et feutre noir s'approcha d'eux mains dans les poches.

...

Dans son bureau Lafleur alluma un cigare. Il touchait au but se dit-il. Du moins, il l'espérait. Ce n'était pas tout d'avoir en sa possession le plan du Nautilus. Il lui fallait le sous-marin. Personne alors ne pourrait lui en contester la propriété.

Le plan, il le tenait du grand-père qui avait travaillé comme secrétaire auprès de Jules Verne. Peu scrupuleux, celui-ci avait eu l'occasion de le dérober. Il était mort peu de temps après sans avoir eu la possibilité d'en tirer un quelconque profit. Par la suite son propre père n'avait porté aucune attention à cet héritage.

Lui, par contre, s'était vite rendu compte qu'il pouvait en tirer le meilleur parti et faire passer le grand-père pour le véritable inventeur du Nautilus.

La guerre interrompit les recherches entreprises pour mettre la main sur le sous-marin. A la libération, en quittant la résistance, il lui avait fallu trouver du boulot. Mais personne ne voulut investir dans ses hypothétiques brevets.

Il décida alors de monter la Fabrique avec ses maigres économies et se remit au boulot. Pas toujours honnêtement. Il se moquait pas mal de savoir qui finançait "ses bébés" et encore plus de savoir si "ses brevets" servaient une cause noble ou malhonnête. Bref ses inventions l'accaparèrent, lui permettant un temps d'oublier son échec auprès de Gaëlle et de vivre aisément.

Le hasard le mettait de nouveau face à elle, car il n'en doutait pas, cette Labornez de Pont-Aven, c'était bien elle. Mais il importait peu à présent. Depuis qu'il avait décidé de reprendre les recherches, seul le Nautilus trouvait grâce à ses yeux. Pour lui, il était prêt à tout.

A force de fouiner, il apprit l'existence d'une carte en possession d'un descendant de Verne. Ce ne fut pas difficile de soudoyer Gérard, mais ce con avait tout foiré ! Heureusement, il y avait Colette. Mais s'il la trouvait fort utile, il craignait qu'elle se révèle trop vorace et tout à fait capable de "la jouer perso" au dernier moment. On verrait bien. Il avait pris ses précautions.

...

" Villa La Falaise ".

Une carbonade de porc et d'andouille mijotait sur la cuisinière. Un fumet sucré-salé embaumait la pièce à vivre. Autour de la table, chacun s'activait à la préparation commune de la tarte aux pommes. Une fois la table débarrassée, Robert étala la fameuse carte.

- Bien, dit-il. Voyons voir ce que nous pouvons en tirer.

"Petit papa Lafleur, quand tu descendras du ciel..."

- Gaëlle ! Arrête un peu s'il te plaît, dit Roland. Il m'a pas l'air de sentir bien bon ton Lafleur.

- Il ne renoncera pas, répondit Gaëlle. Il faut s'attendre à de nouveaux pépins s'il découvre que nous ne sommes pas morts. Un jour il vous épouse, le suivant il vous trucide.

Alice se retint de rire.

- Eh oui belle Alice. Mais des comme mon Yannick, il y en a encore tu sais, et je te souhaite un comme lui. Gaëlle s'interrompit. Elle évita de désigner du regard Roland ou Robert visiblement tous deux attirés par Alice. Bien, alors cette carte ?

Ils se penchèrent tous les quatre. La carte, "lessivée" par Gaëlle, laissait apparaître des signes - chiffres et lettres - et le mince tracé d'un contour qui pouvait s'apparenter à une côte. Il s'avéra que la première ligne indiquait une longitude et une latitude dans le désordre.

- D'accord, dit Roland. Admettons. On en fait quoi maintenant ?

- On essaye toutes les combinaisons, répliqua Robert mais il nous faut un atlas !

Alice entreprit de passer la petite bibliothèque en revue. Tout y était minutieusement rangé. Atlas, dictionnaire, encyclopédie, livres de marines, quelques romans classiques et pour finir des "Maurice Leblanc" dont le fameux roman "L'aiguille creuse" qu'elle avait lu dans sa jeunesse et quelques "Gaston Leroux". Il ne lui fut pas difficile de dégoter l'atlas au premier coup d'œil. En ouvrant un des tiroirs, elle découvrit tout un tas de cartes marines.

- Regardez, dit-elle toute joyeuse, ce que nous avons là !

- Parfait ! s'exclamèrent Roland et Robert qui continuaient à aligner chiffres et lettres.

Gaëlle s'empara machinalement de la première carte marine qu'elle déplia. Elle reconnu sans aucun mal la côte normande. C'est qu'elle en avait vu des cartes pendant la résistance ! Ses yeux faisaient le va et vient entre les deux cartes.

"Bella ciao, bella ciao, ciao … La Madelon vient nous… Madelon… Ma de lon… Ça y est , j'ai compris !"

Ils la regardèrent médusés.

- C'est la côte normande ! La carte du grand oncle , c'est... Regardez, comparez ! Vite, vite, voyons les coordonnées !

- Alice ouvrit l'atlas. Robert et Roland lui déclinèrent les combinaisons. Barfleur ! cria Alice !

Ils étaient donc arrivés au point de départ de la mystérieuse carte mais par des chemins de traverse. Et tous de rire et de chanter. Ils débouchèrent le cidre et trinquèrent à leur trouvaille.

La suite fut plus fastidieuse, laissant place tour à tour à des moments d'enthousiasme et de découragement. Certes ils ne furent pas long à découvrir que la suite des signes les menait là où ils étaient : la "Villa la Falaise". Mais après ?

- Bien, dit Alice. Je propose une pause. Passons à table.

- Je vois mal où cacher le Nautilus dans cette baraque remarqua Gaëlle.

- Peut-être pas d'une manière évidente, répondit Alice. Mais il y a forcément une piste qui part d'ici.

- Vous avez raison Alice, dit Robert. Reste à trouver laquelle et vite !

Ainsi se déroulait leur veillée de Noël, d'hypothèses en hypothèses, plus farfelues les unes que les autres. L'humeur était joyeuse. La carbonade cédait la place à la tarte et le cidre fit office de champagne. Les yeux d'Alice brillaient et ses joues rosissaient à vue d'œil. Elle se sentait bien auprès d'eux. Elle avait trouvé, dans cette aventure rocambolesque, une grand-mère d'adoption et deux amis. Gaëlle la vit se troubler.

"Aux marches du palais, aux marches du palais..."

Les deux femmes se regardèrent d'un air complice. Alice sourit et se mit à rougir. Pourquoi faudrait-il toujours choisir se dit-elle. On est si bien comme ça. Roland et Robert avaient ressorti crayons et papiers. Ils piquèrent du nez promptement sur leurs lignes de code pour éviter de croiser le regard d'Alice.

Gaëlle, qui en connaissait un rayon question code, leur fut d'un grand secours. Ils finirent par décoder les deux premières lignes. Roland s'empara du vieux compas déniché dans le deuxième tiroir de la bibliothèque et traça, comme indiqué, une sorte de demi-cercle qui partait de Barfleur pour finir à ce qu'ils découvrirent être le port de Fécamp.

- C'est donc là qu'il se trouve ? questionna Alice.

- Je ne sais pas, dit Roland. Peut-être n'importe où sur la côte. Et peut-être ailleurs qui sait ce qu'il a voulu dire ton ancêtre, hein Robert ? Quoique il a pu pondre cette carte en compagnie du mien. Quel sac de nœuds !

Alice s'assit à côté de Robert qui tentait de percer le mystère de la dernière ligne.

- Et si on enlevait les chiffres, dit Alice.

- Et on fait quoi des lettres ?

- Des anagrammes ? dit Alice. Et des chiffres comme ponctuation ? non ?

- C'est pas bête, dit Gaëlle. Un peu simple comme code mais pourquoi pas.

Ils finirent par déchiffrer la phrase : " Ouvre la porte de la Falaise et le tableau tu trouveras".

Quand le portable de Robert sonna, leurs regards n'étaient plus que quatre points d'interrogation.

- Oui Tante Etzelle. Demain ok. Nous t'attendons avec impatience, il nous manque justement un tableau, dit-il en pointant un doigt vers le mur au-dessus du canapé où il venait juste d'apercevoir les traces laissées par un tableau décroché depuis longtemps sans aucun doute. Il raccrocha.

Trois têtes se tournèrent vers le mur puis de nouveau vers Robert. Ils s'exclamèrent en chœur : "Il y a quoi sur le tableau ?"

- Une goélette avec en arrière plan une falaise de calcaire.

- Pffffffff, s'exclama Roland. Ça manque pas les falaises du côté de Fécamp ! J'ai hâte de voir le tableau.

- A moins qu'il ne s'agisse de la ville de Falaise, celle proche de Caen et de la maison du grand-oncle. Quel bazar. J'ai l'impression que nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge !

- La goélette. Elle a un nom ? demanda Alice.

- Je ne sais plus, dit Robert.

- Bien. Il se fait tard, dit Gaëlle. Demain il fera jour. Attendons l'arrivée d'Etzelle et du tableau.

Au petit matin du jour de Noël, Etzelle rangea précieusement le tableau dans le coffre avec sa valisette et son nécessaire de tricot. Elle ajusta son tailleur et noua un foulard sur ses cheveux blancs immaculés. Elle s'assit au volant de cette bonne vieille 403 toujours aussi vaillante et regretta amèrement d'avoir eu à remettre la capote. Elle démarra.

Annexes

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