lundi 12 janvier 2015

Place à la polémique

Avec tout le mauvais esprit dont je suis capable, je me demande à présent qui osera le premier dégainer et porter plainte contre un dessin paru dans Charlie Hebdo. Il est dorénavant et au moins pour quelque temps acquis que Charlie Hebdo est sauvé. Blessé, décapité, amputé, mais sauvé financièrement parlant. Bien sûr, Charb, Cabu, Honoré, Tignous, Wolinski et Oncle Bernard vont manquer. Charlie aurait pu choisir de se saborder, de refuser de continuer, de baisser les bras. Le journal a choisi de poursuivre sa route. Un énorme élan national va le porter, il va avoir droit aux aides à la presse. Il est plus que certain que le prochain numéro se vendra très très bien. Tout cela est sans doute bien ainsi. Sauf que, tout de même, il y a eu des morts. Pas que chez Charlie, je le sais bien.
Et là, maintenant, on est en pleine séance de flagellation. Des dessinateurs qui se disent indignes de passer derrière les morts de Charlie, qui se traitent de lâches, de couards, de mauvais. Il y a Crumb, Laurel, Wens, par exemple, qui tiennent des propos qui vont dans ce sens. Et moi aussi mais ça compte pour du beurre. On en est presque à raconter que c'est blasphème que de dessiner alors que les meilleurs ne sont plus. C'est une blague ?
Que personne ne dessine plus jamais comme Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, c'est un fait, une certitude. Et alors ? Personne n'a plus jamais dessiné comme Reiser, comme tant d'autres. Pardon ? De quoi ? Ils ne sont pas morts au champ d'honneur ? Ah oui, d'accord. Des martyrs, donc. Un martyr, ça se respecte, ça se pose un peu là. Dessinateurs de peu, dessinateurs vivants, posez vos crayons, rebouchez vos feutres, vous ne pouvez plus vous exprimer après ça. Ce serait une impardonnable faute de goût, une impudence d'une extrême gravité.

Je l'ai déjà dit, il me semble. Je suis un renégat. J'en ai honte. J'ai arrêté de lire et d'acheter Charlie Hebdo il y a des années de cela. Je ne soutenais plus Charlie, je n'étais plus Charlie. J'en voulais au sarkoziste Val, je n'étais plus d'accord avec ce que je pouvais lire dans Charlie. Plus assez pour accepter de leur donner un peu de monnaie, en tous cas. Je savais bien qu'ils étaient en difficulté. Tout le monde le savait. On n'achetait pas assez ce journal et aujourd'hui, à la lumière obscure de la compassion, on est tout couvert d'une honte poisseuse et on ne sait pas comment racheter sa faute impardonnable. On va acheter Charlie par bouquet de douze, on va s'abonner et abonner ses proches. Et tant pis si on ne le lit pas, et même si on y verra plus ni les dessins des dessinateurs morts ni les textes de Bernard Maris. C'est une question de principe. Il faut défendre et la liberté d'expression et la liberté de la presse libre ! Parce que, en quelques jours, Charlie Hebdo est le garant indiscutable de tout cela. On dit que les livres d'Histoire parleront de cette affaire pour les siècles à venir.
Mais comme je suis bourré de mauvais esprit, je ne suis pas sûr de me remettre à acheter Charlie Hebdo. Peut-être achèterai-je le prochain. Peut-être. Ce serait bien. Ce serait pour faire comme tout le monde. Pour dire la solidarité et la tristesse et la compassion. Quant à savoir s'il faut dessiner ou pas, là, je ne sais pas. Je ne suis pas un caricaturiste, je ne suis pas dessinateur de presse. Je dessine mes petits trucs, du dessin sans façon qui ne fait pas d'ombre aux grands. Du petit dessin artisanal à portée humoristique ou, du moins, qui a la prétention de l'être. Et la vraie question, c'est bien de savoir si l'on a juste le droit de dessiner encore sans risquer sa vie. Puis-je encore faire mes petites motos à la con ? C'est une question de dignité. Je sais bien que le ridicule ne tue pas mais qu'en est-il de la honte ? Celle de dessiner sans risque, sans que la moindre petite fatwa vienne planer au-dessus de ma tête.
De toutes façons, l'envie de dessiner mes conneries n'est pas présente. C'est bête. C'est comme ça. Ça reviendra après que tout cela soit digéré.

Dessiner encore ?

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