mardi 14 octobre 2014

Ça ne nous rajeunit guère

En quelle année était-ce ? Quelque part au milieu des années 80, ça c'est sûr. Noël, mon grand frère, l'un de mes petits frères et moi partions de Dordogne pour rallier Usson-du-Poitou et assister à l'assemblée générale du Club Sanglas France et rencontrer le Père Cani. Le Père Cani, motard légendaire parmi les motards légendaires, c'est mon petit frère qui est à l'origine de notre rencontre. A l'époque, celui-ci avait récupéré un Kreidler RS et le remettait en route avec l'aide de mon père. Le Kreidler 50 RS, c'était un 50 à vitesses très réputé. Normalement, il était considéré comme vélomoteur et non comme cyclomoteur. Cela n'inquiétait pas trop mon frangin comme ne semblait pas l'inquiéter non plus le fait que les cyclomoteurs à vitesses étaient, de toute manière, hors la loi. Au tout début des années 80, par souci de protectionnisme, pour aider les marques françaises de cyclomoteurs qu'étaient Motobécane et Peugeot (principalement), une loi scélérate interdisait les cyclomoteurs à boîte de vitesse. Terminés les Testi, les Fantic, les Zündapp et les Kreidler ! Place aux "bleues" et aux 103.
Pour chercher des pièces et retaper le Kreidler, mon frangin avait passé une annonce dans une revue moto. Peut-être dans les "Puces" de Moto-Journal. Et voilà qu'il a une réponse d'un type de Combs-la-Ville, un certain Père Cani. Manquait plus que ça. Sottement, on se dit que c'est peut-être un curé défroqué. L'important est qu'il semble s'y connaître en Kreidler et qu'il peut peut-être aider à trouver des pièces[1]. Un échange de courriers classiques, avec du papier mis dans une enveloppe timbrée portant une adresse postale[2] s'instaure rapidement et le Père Cani propose que nous puissions nous rencontrer lors de l'assemblée générale du Club Sanglas France[3].
A l'époque, nous connaissions Noël qui n'habitait pas bien loin de chez nous et que nous considérions comme un vrai motard quoi qu'il roulât sur de drôles de machines. Au collège de Terrasson, il venait chercher son frère avec son side-car MZ. C'est vous dire. Un original. Noël, nous le connaissions de vue. Pas plus. Il se trouve que le personnage s'était mis en tête de circuler en Sanglas. Comme il faisait partie du CSF et que le Père Cani l'avait averti du fait qu'il était en contact avec mon frère et moi, il était venu nous voir et nous proposer de faire la route ensemble. Si mon petit frère pouvait rejoindre Usson-du-Poitou avec sa Kreidler (en toute irrégularité et toute insouciance), je n'avais pas le moindre véhicule capable de me permettre d'y aller. Et c'est là que l'on embarque le grand frère et sa Yamaha Venture qui avait deux places. On se donne rendez-vous pour le samedi à la Bachellerie d'où nous partirons tous.
Le jour dit, Noël arrive avec son 103 Peugeot. Jean-Marc est avec la Kreidler qui a un système de repose-pied bricolé avec deux burins fichés dans un bout de tube tandis que Patrice et moi sommes avec la Yamaha. Persuadés que les 1200cc de la Yamaha n'auront pas de mal à rattraper les deux petits cubes, nous les laissons prendre de l'avance. Nous partons enfin. Direction Saint-Yrieix-la-Perche puis Limoges ! A l'entrée de Limoges, nous tombons sur le Kreidler qui a un gros souci de boîte de vitesses (la deuxième ne passe plus, dans mon souvenir) et de bougies qu'il faut changer très souvent. Nous traversons Limoges en nous éloignant un peu du Kreidler qui fait un raffut d'enfer avec son pot de détente de Fantic adapté. Nous prenons la route pour Usson-du-Poitou et roulons.
Mais bientôt, tout de même, nous nous demandons où a bien pu passer Noël sur son 103 Peugeot. Normalement, avec la grosse Yamaha et le fringuant Kreidler, nous aurions dû le rattraper depuis belle lurette ! Et voilà que, alors que nous arrivons bientôt à destination, dans le lointain, nous voyons un curieux équipage. C'est bien Noël qui nous a tous distancié sans coup férir. Une belle régularité. Nous trouvons la route qui doit nous mener au lieu de rassemblement, une ancienne ferme poitevine.
L'arrivée est fulgurante pour le Kreidler qui, de joie ou d'épuisement, se débarrasse de son câble d'embrayage. Nous rencontrons le Père Cani qui n'a rien d'un cureton ainsi que certains membres historiques du CSF. Bientôt trente années après, ma mémoire me fait défaut. Je ne me souviens plus de tout. Notamment, je ne sais plus où nous avons mangé, ce qui s'est dit, qui était présent. Les deux photos présentées ci-après doivent avoir été faites le lendemain matin. Sur la première, l'ami Jean est en train de bricoler sa Sanglas pour pouvoir rejoindre Paris. On notera la petite chaussure qui sert de protection pour le levier de sélecteur et les tongs qui sont les bottes de motard les plus aérées du monde. Sur la deuxième image, Jean est toujours en train de bricoler. Sur la gauche, on voit Pascal de Bordeaux. Je pense reconnaître Noël ainsi que la BMW de Joël. Pour le reste ?

Jean (p)répare sa 500 Sanglas
AG Sanglas Usson-du-Poitou
Je me souviens que l'une des occupations principales a été de trouver sur une épave de bicyclette un câble pas trop rouillé afin de remplacer le câble d'embrayage du Kreidler. Je me souviens aussi que la nuit a été passée la porte grande ouverte. Le Père Cani avait trouvé intelligent de faire brûler une poutre dans la cheminée. Le souci étant que la poutre ne rentrait pas dans la cheminée, que la cheminée ne tirait pas, que la poutre était goudronnée et que la fumée restait dans la pièce. Donc, porte ouverte. Ça laisse des souvenirs. Je me souviens aussi d'avoir été impressionné par la démonstration du monocylindre Sanglas au ralenti qui arrive à faire bouger la moto pourtant sur sa béquille centrale.
Aucun souvenir du retour, par contre. C'est sans doute qu'il se sera passé sans ennui majeur.

Notes

[1] Dans les faits, il n'a jamais été capable de fournir quelque pièce qui soit.

[2] Les jeunes ignorent ces pratiques d'un autre âge.

[3] qui s'est ensuite appelé "Confrérie Sanglassiste Française" puis "Clan Sanglas France"

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